CHAPITRE II
LES CARACTERES DE LA METALLURGIE, NAMUROISE. LES CONDITIONS NATURELLES, LES TYPES D'USINES
{tab=A. LES CONDITIONS NATURELLES}
Pour qu'un pays travaille le fer, il faut nécessairement le concours de plusieurs circonstances; l'abondance du minerai et celle du combustible sont les conditions naturelles indispensables. A partir des XIIe-XIIIe siècles, s'ajoute à ces conditions, la nécessité d'un réseau hydrographique bien développé : la force hydraulique devient le moteur de la métallurgie.
L'importance de l'industrie du fer dans le comté de Namur et l'Entre-Sambre-et-Meuse, de 1345 à 1600, est donc conditionnée essentiellement par l'existence :
1) de nombreux ruisseaux;
2) d'abondants gisements de minerai;
3) d'importantes forêts, car le charbon de bois est le seul combustible employé dans la fusion du fer.
I. LA FORCE MOTRICE: LES RUISSEAUX
Le système hydrographique présente une parfaite unité dans tout le comté de Namur et l'Entre-Sambre-et-Meuse. La Meuse et son affluent la Sambre, les seules rivières navigables, traversent le comté de part en part et en recueillent toutes les eaux. La seule énumération des rivières sur lesquelles nous avons décelé l'existence d'usines, fera comprendre l'importance de ces voies d'eau secondaires. Elles sont au nombre de 27.
1. Les affluents de la Meuse: de Huy à Fumay
le ruisseau de Beaufort (Louvegnée, Ben-Ahin),
le Rieudotte (Andenne),
le ruisseau de Sclaigneaux,
l'Houyoul (Gesves-Jausse-Samson),
le ruisseau de Haigneau,
le ruisseau de Gelbressée (Marche-les-Dames),
le Houyoux (Namur),
le ruisseau de Wépion,
le ruisseau de Dave,
le ruisseau de Burnot,
le ruisseau d'Annevoie-Rouillon,
le Bocq (Spontin-Yvoir),
la Molignée (1) le Biert (Stave-Ermeton-Foy),(2) le Flavion (Flavion-Faing),
le ruisseau du Fond de Leffe,
le ruisseau de Moneau (Freyr),
le ruisseau de Vève (affluent de la Lesse),
le ruisseau de Tahau (Hastière),
le ruisseau d'Hermeton,
le Viroin (1) l'Eau Blanche, (2) l'Eau Noire.
2. Les affluents de la Sambre: de Viesville à Namur
le Piéton (Viesville),
l'Eau d'Heure,
le ruisseau de Couillet,
le ruisseau d'Acoz,
le ruisseau de Biesmes,
le ruisseau de Fosses,
l'Orneau (Froidmont-Jemeppe),
le ruisseau de Floreffe.
La plupart ne sont que de gros ruisseaux, au profil accusé, de faible longueur mais de pente rapide. La force motrice était donc assurée à de nombreuses usines.
II. LE MINERAI
Le minerai constitue la matière première indispensable à l'industrie du fer. 11 était abondant dans tout le cadre géographique qui nous occupe. La carte que nous reproduisons des principaux gisements de l'Entre-Sambre-et-Meuse nous dispensera de longs développements sur leur importance et leur localisation1.
Espèces
De la qualité du minerai dépend essentiellement la qualité du fer fabriqué. La limonite, qui était avec l'oligiste l'espèce de minerai la plus courante dans l'Entre-Sambre-et-Meuse et le Condroz, fournit des fontes et des fers de qualités très différentes2. Ainsi, on produisait du fer dur dans la région de la Molignée, un fer mixte le long de la Meuse, un fer tendre à Marche-sur-Meuse, à Samson et à Goyet. Ces distinctions dans la qualité des produits se retrouvent invariablement les mêmes à plusieurs siècles de distance.
Problèmes et Méthodes d'exploitation
Les gîtes déminerai du Namurois, situés le plus souvent en affleurant ou tout au moins à de faibles profondeurs du sol, devaient être exploités assez facilement. Cependant, même dans ces conditions favorables, l'extraction du minerai engendrait de nombreux problèmes et des difficultés dont nous mesurons difficilement l'importance aujourd'hui. Laissons parler l'italien Guichardin qui a vu à l'œuvre les mineurs namurois du XVIe siècle : «...en cherchant, plus l'un jour que l'autre, avec art, travail et industrie, par les veines des montaignes et entrailles de la terre, les mines de fer que ça et là ils trouvent esparses, qui est chose merveilleuse à voir et considérer, veu que sans un grand jugement et longue expérience cecy ne réussit point à souhait ny profit, car ce n'est pas assez de descouvrir le lieu abondant en mine, ains faut esplucher et considérer avec soing et diligence si la veine est pour porter commodité ou dommage, ce qui se cognoit par l'assiette du lieu, la bonté de la terre, et l'abondance de ceste estoffe et matière, estant ou seiche ou aqueuse et humide, car le travail et les frais y sont si grands que si un maistre de forge n'est pratiq et expérimenté en cecy, s'il n'est diligent, et de bon et subtil jugement à discerner ces choses, le plus souvent il ruine et soy et les siens qui entrent avec luy en ceste pour-suitte».
Seule, une longue expérience permettait de déceler l'existence des gîtes de minerai. Les procédés pratiques n'étaient cependant pas totalement absents en cette matière : le plus employé consistait à goûter l'eau des sources: «Et, sans mentir, ces Namurrois sont accords et subtils et n'es-pargnent rien pour descouvrir ces mines en abondance; et le pays en foisonnant il ne sera qu'ils n'en descouvrent davantage, en tant qu'outre le soing et diligence ordinaire, et de chascun cogneue, et surtout à faire l'essay des eaux qui ont source es entours des mines, et voir et sentir quelle saveur est ce qu'elles ont...»3.
L'approvisionnement en minerai ne causa jamais de soucis aux forgerons du Namurois, tant les gîtes étaient abondants: ils furent exploités depuis l'époque gauloise jusqu'au XIXe siècle.
III. LE COMBUSTIBLE
1) Le bois
Le bois, cette autre matière première, n'est pas employé directement, mais
réduit en charbon.
Quelles sont les règles générales de cette opération: «Toutes les espèces de bois conviennent à faire du charbon mais on n'emploie que les espèces les plus communes, car la consommation en étant très considérable, le prix doit en être modique, le bois diminue presque des trois quarts de son volume en se convertissant en charbon»4.
Le charbon de bois est le seul combustible utilisé dans la fonte du fer. soit dans le haut fourneau et au feu d'amnerie. Les bois durs tels que le chêne, le charme et le hêtre (fagus : charbon de fau) conviennent particulièrement à la fusion du minerai ; à l'affinerie on emploie de préférence des bois tendres tels que le bouleau, le peuplier, le tilleul et le pin «parce qu'ils procurent plus de douceur aux métaux». En théorie, seuls les bois de 18 à 20 ans d'âge faisaient du bon charbon; en fait, sous l'emprise de la nécessité. on se servit souvent d'arbres beaucoup plus jeunes.
Le haut fourneau exigeait à lui seul d'énormes quantités de charbon ; il est difficile d'en déterminer la consommation moyenne: elle variait suivant les formes de l'appareil, l'essence des charbons et la qualité des mines que l'on y traitait; en France on l'a évaluée à 1.750 kg de charbon pour 1.000 kg de fonte5. La transformation de la fonte en fer s'opérait également au charbon de bois ; tant et si bien que pour obtenir une tonne de fer affiné, forgeable, on devait brûler 15,040 m3 de charbon de bois, soit 3.309 kg6, c'est-à-dire à peu près 10.000 kg de bois.
Cette consommation extraordinaire provoqua rapidement une crise d'importance: la pénurie du combustible. Dès le XVIe siècle, cette crise est des plus critiques en France. La ruine presque totale des forêts sert du reste de prétexte à Henri II, lorsqu'en 1555, il révoque les privilèges des ferrons. La situation est la même en Angleterre. Dans la première moitié du XVIe siècle, le gouvernement doit faire face à de nombreuses protestations émanant des constructeurs de bateaux ; ils déclarent qu'ils ne peuvent plus s'approvisionner en bois tant les maîtres de forges ont ruiné les forêts. En 1544 et 1585 de nombreux actes furent promulgués, interdisant notamment la coupe des bois de tembre à une distance déterminée de la mer et de toute rivière navigable8. Dans le comté de Namur et l'Entre-Sambre-et-Meuse, la disette en bois ne commença à se faire sentir qu'au XVIIIe siècle. C'est dire qu'en ce domaine aussi, les ressources régionales étaient favorables au développement de la métallurgie. Les imposantes forêts qui couvrent aujourd'hui le Namurois ne sont qu'un pâle reflet de ce qu'elles étaient au Moyen Age: en 1294, la superficie des bois situés dans les domaines particuliers des comtes de Namur, est évaluée à 12.386 bonniers9 soit approximativement 11.147 hectares10.
Néanmoins, les bois du comté et de l'Entre-Sambre-et-Meuse furent également l'objet de diverses réglementations. Citons, entre autres, les ordonnances de Charles Quint, du 18 janvier 1535 et du 11 juillet 1541ll, celle de Philippe II, du 24 novembre 1559 et celle des archiducs Albert et Isabelle, du 16 octobre 160012.
Pour les bois liégeois de l'Entre-Sambre-et-Meuse, notons surtout le mandement du 22 mai 1562, par lequel Gérard de Groesbeck ordonnait, spécialement pour le bailliage de Couvin, l'observation de l'édit général de Georges d'Autriche, du 15 décembre 155l13.
2) La houille
Le fer affiné était forgé par des martelages à chaud répétés: au cours de l'opération, la loupe était réchauffée plusieurs fois sur des feux de forge. Le combustible utilisé consistait le plus souvent en «charbon de terre». La houille, à l'état brut, contient du soufre et du bitume que, jusqu'au XVIIe siècle, l'on n'était pas arrivé à éliminer. Dès lors son utilisation,comme combustible dans la fusion du fer, s'avérait impossible : «le charbon de terre est trop gras ou trop actif, ce qui est cause que les fontes sont pâteuses, que le métal se brûle et ne s'épure point des scories, qui elles-mêmes ne sont point assez liquides pour couler hors des fourneaux»14. Ces inconvénients n'avaient aucune raison d'être lorsqu'il s'agissait de réchauffer la loupe de métal au-dessus d'un feu de forge. Comme telle. la houille fut utilisée à la forge bien avant le XVIe siècle15.
Dès le XIVe siècle, les forgerons namurois l'emploient. La Charte des ferons de Marche-sur-Meuse, octroyée en 1345 par le comte de Namur Guillaume Ier, fait mention des «mynes de charbon» qui alimentent leurs forges16. A ce titre, cette charte est d'un intérêt capital: elle est un des plus anciens actes faisant état de l'utilisation de la houille à la forge.
Les veines de «charbon de terre» étaient également assez nombreuses dans le Namurois; la présence de ce combustible d'appoint, non loin de leurs usines, est la cause naturelle de son utilisation par les forgerons, dès une époque très reculée. On tire la houille à Viesville, dès 129417, au XIVe et au début du XVe siècle, plusieurs exploitations sont ouvertes notamment à Velaine (137l)18, Fleurus (1396)19, en Marlagne et à Beaufort (1409)20. Presque toujours ces exploitations se font sous la forme d'affermage. En 1371, Henri de Hainaut acquiert, pour 2 ans, le droit d'exploiter la houillère de Velaine moyennant 4 sous de gros l'an21; en 1396, celle de Fleurus est affermée à Jean Strigueur, pour 9 ans, moyennant 10 gros par an22; en 1441, les houillères de la terre de Beaufort sont cédées en bail à ferme, pour 4 ans, à Grand Jehan de Seilles qui en rend 6 oboles par année2 3 Nous ne pouvons nous étendre davantage sur l'industrie houillère namuroise qui mériterait elle aussi une étude particulière. Il nous sera cependant permis de préciser qu'elle avait acquis une réelle importance dès le XVIe siècle : Jacques Bizet receveur du 100e denier à Namur, enregistre le passage de 290 charées de charbon de terre, entre le 18 octobre 1544 et
le 17 septembre 154524.
Parmi les marchands intéressés au commerce de la houille, nous relevons les noms de métallurgistes tels que les Tamison et Henry le Liégeois.
Conclusion
La conclusion s'impose: tout concourait à faire du Comté de Namur et de FEntre-Sambre-et-Meuse un centre métallurgique d'importance; le minerai y était abondant et d'une extraction relativement aisée, l'approvisionnement en combustible était assuré : les imposantes forêts du Namu-rois suffirent longtemps aux énormes besoins de l'industrie; par ailleurs, les ferons eurent tôt fait d'employer le charbon de terre qui s'y trouvait un peu partout; enfin de très nombreux cours d'eau pouvaient fournir la force motrice à quantité d'usines.
Un ensemble de conditions naturelles aussi favorables devait provoquer la naissance d'une industrie métallurgique et favoriser son développement.
{tab=B. LES TYPES D'USINES DU NAMUROIS}
Au XIVe siècle, la fabrication du fer s'effectue en deux temps : la fusion du minerai dans le haut fourneau et la transformation de la fonte en fer marchand, par affinage et martelage, à la forge.
I. LE HAUT FOURNEAU
II n'est guère nécessaire d'insister sur le rôle capital du haut fourneau dans la métallurgie. L'importance de la production en fer d'un pays dépend essentiellement du nombre de fourneaux y travaillant.
Origines dans le Namurois
Le comté de Namur est assurément une des régions où le haut fourneau commença à être employé26. Plusieurs actes nous en attestent l'existence dès la seconde moitié du XIVe siècle, soit à l'époque où s'amorce cette révolution industrielle d'un intérêt capital. Les premiers actes qui font explicitement état de l'existence de fourneaux dans le Namurois sont les comptes de 139527. Hanosse le feron demande l'autorisation de construire à Sart-Eustache «encore un fourneau partant qu'il lui semblait que l'autre fourneau fut trop bas».
La même année, le comte autorise la construction, à Gougnies d'une «forge a fondre fer ainsi que celle de Marche»". Au total quatre fourneaux connus) usinaient dans le comté de Namur, à la fin du XIVe siècle- deux à Sart-Eustache, un à Gougnies et un à Marche.
L'utilisation du haut fourneau, dans le comté de Natnur remonte oute a une époque plus lointaine encore. Il faut se rappeler que la fabrication du fer à partir de la fonte provdqua une distinction entre le* llurgistes, en fonction de leur spécialisation: d'une part les fondeurs" d autre part les affineurs. Parmi les ferons, locataires des forges comtales nous relevons entre autres les noms de: Gérard le fondeur, à Jausse, en 135630; Jean Hanosse l'affineuret Henri le fondeur, en 1371, à Ermeton31. En présence de ces documents, il nous semble permis de situer l'apparition du haut fourneau dans le comté de Namur aux environs de la moitié du XIVe siècle.
Expansion
Le haut fourneau ne se substitua pas radicalement aux méthodes employées précédemment dans la fusion du fer. Son expansion fut très lente tout au long du XVe siècle, tout au moins à en juger par les sources de l'époque Au XVe siècle iJ y avait sept fourneaux (connus) dans le comté de Namur : deux à Marche, un à Jausse, un à Haltinnes, un à Sart-Eustache, un à Acoz et un à Thy-le-Bauduin.
Dès le début du XVIe siècle, le haut fourneau devient le seul instrument de production. Son expansion dans le Namurois est à ce point extraordi-
naire, qu'elle classe le comté parmi les pays les plus importants producteurs de fonte. Dans la première moitié du siècle, nous en avons répertorié vingt-trois : deux à Jausse, un à Rieudotte (Andenne), deux à Marche, un à Dave, un à Romiée (sous Arbre), un entre Arbre et Burnot, un à Spontin, un à Flavion, un à Stave, un à Biesmerée, un à Ermeton, un à Maredret, un à Freyr, un à WaJcourt, un à Yves-Gomezée, deux à Acoz, un à Oret, deux à Biesmes, un à Sart-Eustache.
Neuf autres fourneaux sont situés en terre liégeoise : un à Denée, un à Bouffioulx, un à Fosse, un à Saint-Mard (Gourdine-Somzée), deux à Vogenée, un à Couvin, un à Gonrieux, un à Taviet-lez-Dinant.
Dans la seconde moitié du siècle le nombre des fourneaux du comté de Namur s'est encore accru. Il y en a trois à Louvegnée (Ben-Ahin), un à Rieudotte, un à Sclaigneaux, un à Jausse, un à Haigneau, un à Marche, un à Wépion, un à Romiée, un à Arbre, un entre Arbre et Burnot, deux à Rouillon, un à Flavion, un à Stave, un à Biesmerée, un à Ermeton, un à Montaigle, un à Ostemrée, un à Freyr, deux à Hastière, un à Walcourt, un à Yves-Gomezée, un à Fairoul, un à Acoz, un à Oret, un à Sart-Eustache et un à Biesmes3 3, soit au total trente fourneaux connus. Encore pourrait-on y ajouter sans doute les fourneaux de Dave, Spontin, et Maredret pour lesquels aucun acte ne nous a cependant précisé la subsistance.
Il suffira pour comprendre l'importance exceptionnelle de la métallurgie du comté de Namur, au XVIe siècle, de la comparer avec celle de la principauté de Liège, considérée à juste titre comme un des plus importants centres sidérurgiques européens au XVIe siècle34.
A cette époque il y a dans le bassin liégeois sept fourneaux sur la Meuse, quatre sur l'Ourthe, trois sur la Vesdre35. Ajoutons-y les six fourneaux situés sur l'Eau Noire, le fourneau de Merlemont, les deux fourneaux de Vogenée et le fourneau de Morialmé; soit vingt-quatre fourneaux connus contre trente au comté de Namur.
II. LA FORGE
La forge est le complément du haut fourneau. C'est là que s'opère la transformation de la fonte en fer forgé. La fonte est d'abord placée sur un feu d'affinerie de façon à éliminer le carbone et les impuretés qu'elle contient. La loupe de fer, qui s'est constituée au fond du foyer, est ensuite martelée afin d'éviter toute soufflure ou cavité interne. Les appareils de soufflerie et les marteaux sont mus par des roues hydrauliques. La forge comporte donc généralement un «affinoir» et un ou plusieurs marteaux. Le maniement des barres de fer nécessite en outre la présence de nombreux outils.
La «Visitation» de la forge de Pervée, près de Ciney, nous donne une idée de leur importance et de leur diversité36. En 1534, elle consite en:
« un marteau et une enclume usinant ;
a ce marteau, d'hostilles : trois paires de grosses tenailles, trois paires de tenailles forgresse, une paire de singleres, une autre paire de petites, un gros marteau, un autre petit marteau; une hachette pour hachier l'enclume, le fourgon, le rengaire du marteau, une balance;
à l'affinerie, est trouvé d'hostilles : deux paires de grosses tenailles de fer, une paire de petites tenailles pour porter le fer, une rengaire, deux fourgons, un haweit, le gros marteau à battre la loupe...».
A cote de la forge proprement dite, s'élèvent différents bâtiments où forgeron remise ses matériaux. Aux fourneau et forge de Sclaigneaux il y a «une etable pour mettre les chevaux, un grenier dessus pour le foin' une chambre pour loger les serviteurs, une place spacieuse pour mettre les mines et matériaux, une grande chippe (remise) faite de pierres de taille et de briques, couverte d'ardoises, tenant place pour mettre 4 à 5 charées de Charbon».
Le nombre de forges varie naturellement en fonction du nombre de fourneaux. Dans le comté de Namur, il y en avait 26 à la fin du XIVe siècle, une bonne quarantaine au XVe et plus de soixante (connues) à la fin du XVIe siècle.
III. USINES DE SPECIALISATION
Sous cette rubrique, nous voulons parler des fenderies, laminoirs, platineries, tréfileries... qui apparaissent au XVIe siècle et dont l'outillage est conçu dans un but défini. Elles sont l'aboutissement de nombreux essais tentés, sans doute dès la fin du XVe siècle, dans le but de produire plus, plus vite et moins cher. Cette production plus rapide et d'un prix de revient moins élevé était devenue une nécessité pour les maîtres de forges de plus en plus tributaires des marchands capitalistes.
Dans le comté de Namur, ce genre d'usine est, semble-t-il, pratiquement inexistant lorsque se termine le XVIe siècle. Nous n'y avons relevé que deux fenderies. Notons cependant que dès la fin du XVIe siècle, des métallurgistes namurois se sont spécialisés dans la fabrication des armes. Ils ont nom: Lambert Maloteau, Remy Faubert et Henri d'Harscamp38. Dans les premières années du XVIIe siècle, quelques octrois autorisent la création, dans le comté, d'industries métallurgiques spécialisées; elles sont la résultante de la politique des princes «qui s'inspirent de cette considération dite «mercantile» qu'un pays doit posséder toutes les industries utiles, de façon à vendre le plus possible à l'étranger et à lui acheter le moins possible»39. Ainsi en 1608, Jean Chabotteaux obtient l'autorisation d'exercer près de Bouvignes, son métier de «battre et forger par moulin à eau, fil de laiton, platines et semblables ouvrages tant en cuivre que de fer» à l'instar des industries similaires existant à Aix-la-Chapelle40. En 1609, permission est donnée à Gabriel de la Roche et Louis Minet d'exercer en Luxembourg, Namur et Hainaut «leurs industries jamais vues en nos pays et par deçà, d'applatisseries, batteries, fonderies et tireries de toutes sortes de fil de fer et de laiton, à la façon de la ville de Nuremberg»41. Signalons encore, parmi ces industries spécialisées, la fabrication du fer blanc, réalisée, dans le comté, vers 1620-162542. La création de ces industries a donc pour cause la politique mercantile des princes qui garantissaient à «leurs inventeurs» outre des avantages matériels très importants («ils jouissaient de toutes exemptions comme s'ils étaient nobles et originels desdits lieux»), le monopole de la fabrication d'un produit qui jusqu'alors avait dû être acheté à l'étranger.
Conclusion
Pendant la période qui nous occupe, le comté de Namur ne compte pratiquement aucune usine de spécialisation; par contre, on y trouve un grand nombre de hauts fourneaux. Jusqu'à la fin du XVIe siècle, le Pays de Namur fut donc surtout un important producteur de fonte.
Les conditions naturelles sont, semble-t-il, pour beaucoup dans cette orientation de la production métallurgique namuroise: dans un pays, où minerai et combustible se trouvaient en abondance, il était normal que l'on construisît de nombreux fourneaux; au contraire, dans une région où l'approvisionnement en matières premières n'était pas assuré et menaçait de causer de sérieux problèmes on comprit la nécessité de construire surtout des usines de spécialisation ou de transformation.
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