CHAPITRE III
Waleran de Limbourg et les comtes de Luxembourg
A la mort de Robert de Gesves, 1236, se produisit le lait qu'on avait tant voulu empêcher : l'avouerie fut vendue en contravention au droit féodal et aux stipulations formelles de l'acte de 1091. Vendue au prince qui, plus que tout autre, devait éveiller la défiance de l'évêque de Liège, savoir Waleran de Limbourg, frère du duc de Limbourg, demi-frère du comte de Luxembourg, cadet ambitieux qui, apanage du château de Poilvache et de ses dépendances, rêvait d'étendre sa petite souveraineté.
CHAPITRE III
Waleran de Limbourg et les comtes de Luxembourg
A la mort de Robert de Gesves, 1236, se produisit le lait qu'on avait tant voulu empêcher : l'avouerie fut vendue en contravention au droit féodal et aux stipulations formelles de l'acte de 1091. Vendue au prince qui, plus que tout autre, devait éveiller la défiance de l'évêque de Liège, savoir Waleran de Limbourg, frère du duc de Limbourg, demi-frère du comte de Luxem¬bourg, cadet ambitieux qui, apanage du château de Poilvache et de ses dépendances, rêvait d'étendre sa petite souveraineté. Dans le même temps profitant, comme pour Gesves, d'une succession, il avait acquis l'avouerie d'Assesse ({jtips}1 Thiéry III de Walcourt-Rochefort, avoué d Assesse, mourut entre juillet 1234 et juin 1237 ASAN,t XX, pp 352,et ss|1 {/jtips}).Entre Waleran et l'évêque Jean d'Eppes, des pro¬cédés de guerre s'échangeaient déjà lorsque cette double al teinte à la souveraineté liégeoise vint aggraver la situation. Le duc de Limbourg tenta de ramener son frère à la raison et, d'accord avec le duc de Brabant, for¬mula, le 16 septembre 1237, un traité de paix, dont le premier article soumettait à l'arbitrage le différend relatif aux avoueries d'Assesse et de Gesves ({jtips}2 Document X|2 {/jtips}).
Mais Waleran refusa de s'y soumettre, et continua ses violences en territoire liégeois. Alors l'évêque Jean d'Eppes assembla ses vassaux, traversa le Condroz et vint mettre le siège devant Poilvache en février 1238. Malgré l'intervention de plusieurs grands feudataires de Liège,L’entreprise échoua et Evêque, tombé malade dans son camp, vint mourir à Dînant (2 mai 1238). Bientôt après Waleran, arrivé avec cent soixante chevaliers, fit lever le siège; mais une attaque du comte de Flandre Thomas de Savoie, frère du nouvel évêque, lui enleva la forte¬resse. Un traité la lui rendit ; et quelques années plus tard (1242), cet enragé brouillon alla se faire tuer sur les bords du Rhin ({jtips}3 ASAN, t XXI, pp 131-135 L LAHAYE, Les fiefs de Poilvache|3 {/jtips}).
Sa veuve, Elisabeth de Bar, dont les enfants étaient jeunes, ne prolongea pas les querelles qui avaient rempli l'existence de Waleran. Elle s'empressa de rétrocéder l'avouerie d'Assesse à Gilles de Rochefort; et celui-ci en fit abandon à .Evêque ({jtips}4 BORMANS, Cartulaire de St-Lambert, t I, p 441 Acte de février 1243|4 {/jtips}). Ce sont probablement des procédés analogues qui mirent l'avouerie de Gesves en la possession de Robert de Thorote, successeur de Guil¬laume de Savoie sur le trône de Liège.
Un arrangement final fut conclu dans les derniers mois de l'année 1245. L'avouerie d'Assesse fut échangée contre les possessions de la dame de Poilvache à Dînant et à Leffe ({jtips}5 Ibid,p 492 Acte du 9 novembre 1245|5 {/jtips}).
Mais comme la valeur de ces dernières était supérieure, il fut stipulé, dans une convention du 1er décembre, que la soulte de 25 livres de revenu ({jtips}6 Vint et cinc livrées de terre a blans Les deniers blancs étaient la monnaie de Tours Cf BROUWERS, L Administration etles finances du comté de Namur, t I, p XXIII|6 {/jtips}) nécessaire pour ajuster l'échange, serait prélevée sur Jassogne, Ohey ou Gesves ; que cependant si Evêque avait assez de terre dans l'une de ces trois localités, les deux autres lui demeureraient ({jtips}7 Document XII L éditeur du Cartulaire a pensé qu il s'agissait de Jannée ce que nous savons par ailleurs démontre son erreur Quant à Ohey, écrit Chai, on peut se demander s il n'est pas l'origine des cens que les seigneurs de Gesves y percevaient| 7{/jtips}).
Cet acte fixa les destinées de Gesves, qui constitua la soulte due à Elisabeth de Bar.En avril 1250, Elisabeth s'y comporte en souveraine, faisant trancher par son prévôt de Poilvache un différend entre les manants et le chapitre de Notre-Dame de Huy qui était, on s'en souvient, le seuil vrai seigneur du lieu ({jtips}8 Document XIII|8 {/jtips}). C'est que, transférée à une famille princière, l'avouerie prenait un caractère tout différent. Au lieu de se réduire à un ensemble de droits strictement limités, qu'un simple gentilhomme exploitait au mieux de ses intérêts patrimoniaux, elle devenait un instrument politique.
C'est bien comme telle que Wallleran l'avait convoitée, et ce caractère ne fera que s'accentuer lorsque les comtes de Luxembourg en deviendront possesseurs.Par une convention conclue en 1254 avec le fils de Waleran, le comte Henri III de Luxembourg acquit l'ensemble du domaine de Poilvache, y compris l'a¬vouerie de Gesves ({jtips}9 VERKOOREN,Inventaire des Chartes et Cartulaires du Luxembourg, ii 116|9 {/jtips}). Dès lors, entre l'avoué et la collégiale de Huy, c'est la loi du plus fort qui règle le partage des droits. Le comte usurpe la dîme ({jtips}10 Vers 1300,l'abbaye du Val-Saint-Lambert jouissait d'un cinquième de la dîme de Gesves, sans doute par octroi du comte (Institut Grand-Duc de Luxembourg, Section historique, XLIX, 202)|10 {/jtips}), et acquiert les bois (1298) à la suite de manœuvres tendant à en diminuer la valeur. Celles-ci sont révélées par une enquête que le chapitre de Saint-Lambert ordonna pour savoir si l'aliénation consentie par les chanoines de Huy Hait conforme à l'intérêt de leur église ({jtips}11 Documents XVI et XVII|11 {/jtips}).
Les témoins affirment que le comte use de sa puissance pour empêcher le chapitre de jouir de sa propriété. "Il n'en ira pas mieux dans l'avenir», dit l'un d'eux, «car on a rarement vu que les successeurs des grands valussent mieux que leurs ancêtres ; mais souvent ils sont pires, et moins scrupuleux quant aux moyens de s'enrichir ». Un autre témoin raconte que, lorsque le chapitre voulait vendre une coupe de bois, le comte ; opposait et faisait chasser les acheteurs sous prétexte qu'il avait droit à un tiers des produits de la forêt.
D'ailleurs, la population riveraine pillait les bois nuit et jour sans aucun empêchement. Le comte allait jusqu'à faire saisir le produit des ventes, si bien que le chapitre, après de longs délais, récupérait à peine les frais de procédure. En un mot, les comtes de Luxembourg avaient employé tous les moyens pour déprécier la propriété qu'ils convoitaient; et, de fait, ils l'avaient achetée pour un prix infime, qui consistait en la dîme du hameau de Monceau-sous-Haillot et une rente de sept muids d'épeautre.
Le comte Henri, qui avait acquis Poilvache des héri¬tiers de Waleran, fut tué à Woeringen (1288) ; sous son règne Gesves subit les ravages des troupes liégeoises durant la guerre de la Vache (1276) ({jtips}12 BACHA, Chronique liégeoise de 1402, p 219 |12 {/jtips}). Henri V, son fils, qui fut empereur, mourut en 1309, et l'avouerie de Gesves échut au célèbre Jean de Luxembourg, roi de Bohême, comme le montre le tableau généalogique ci-dessous.
Le comte Jean, à l'occasion d'un projet de mariage, fit établir la « vaillisance » du domaine de Poilvache.
Suivant cette estimation, la terre de Gesves lui procurait les revenus suivants : la brasserie, les cens, rentes et produits divers valaient annuellement 6 livres 16 sous tournois, 11 muids de grains, un porc, 12 poules, 2 cha¬pons, de la cire et du poivre. La taille de la Saint-Rémi rapportait 16 livres ; la grosse dîme 170 muids, 2 porcs et 30 livres de cire; la menue dîme 14 livres, un porc et 4 livres de cire; les moulins 89 muids de mouture et 4 livres de cire, à partager avec le seigneur de Spontin. Les « corvées » valaient 4 muids d'avoine, et les bois 42 livres. Tout cela, comme notait l'inventaire, était sujet à fluctuations ({jtips}13 Document XVIII|13 {/jtips}).Si l'on totalise ces divers revenus, il apparaît que, en cinquante ans, les comtes de Luxembourg avaient porté le produit de l'avouerie de Gesves à une centaine de livres tournois et quelque 230 muids de grains, plus les redevances accessoires. C'était bien autre chose que l'appoint de vingt-cinq livres réclamé, en 1245, par la veuve de Waleran ; mais les comtes avaient usé et abusé de leur puissance, usurpé les dîmes, acquis les bois on sait comment, et étendu la banalité du moulin de Hoyoul.On a remarqué que les comtes de Luxembourg ne recueillaient pas la totalité des redevances sur les mou¬lins de Gesves, mais une moitié seulement, le sur¬plus appartenant au seigneur de Spontin. Un tel état de choses doit trouver sa cause dans les stipulations de l'acte de vente de l'avouerie. La réserve des moulins, en tout ou en partie, est une clause que l'on rencontre parfois dans les actes de cette nature. Ainsi lorsque le comte Henri V de Luxembourg octroya le ban de Spon¬tin à Guillaume de Spontin, il retint le moulin de Stier ({jtips}14 F GŒTHALS, Histoire généalogique de la Maison de Beaufort-Spontin,et Document XXXVI|14 {/jtips}).
Pareille réserve doit avoir été faite, mais seulement pour la moitié des redevances, quand vendue l'avouerie de Gesves à Waleran de Limbourg Ceci nous amène à parler d'une branche de la descendance de Robert de Gesves que nous avons laissée t l'ombre au chapitre précédent, lorsque nous nous som¬mes occupés des héritiers allodiaux de l'avoué et du partage de ses terres cultivées. Cette branche est celle du fils aîné, héritier féodal qui s'appela Libert de Spontin ({jtips}15 Baron M. HOUTART, Note sur l'origine de la Maison de Beauforl-Spontin, dans Annuaire de la Noblesse de Belgique, 1932-33, I re partie|15 {/jtips}) Nous trouvons celui-ci, en 1243, possesseur du tiers de la dîme de Florée, que tint après lui le chevalier Pierre de Spontin. Le fils de ce dernier, Guillaume, participait. en 1309, aux redevances des moulins de Gesves. possession de ces deux droits - - dîme de Florée cl moitié des moulins de Gesves — démontre que la famille de Spontin descendait de Robert de Gesves et d'Aleide de Florée, dont elle représentait l'hoirie féodale. Dans la suite de cette étude, en traitant particulièrement des moulins, nous verrons les Spontin conserver jusqu'en plein XVe siècle cette épave de l'ancienne avouerie.