Dans la première partie de cette étude, nous n’avons pu connaître qu’une minorité de la population, celle qui se composait des seigneurs et des propriétaires. Quant aux autres habitants, les documents du Moyen-âge ne les signalent qu’en termes généraux.
Le polyptyque de Saint-Vanne, rédigé vers l’an 1050, montre des haestaldi, c’est-à-dire des serfs non casés, dispersés sur le domaine ; ils payaient une capitation de deux deniers, ce qui implique une possibilité d’épargne provenant d’un salaire. L’acte de vente de 1091 emploie le terme générique de mancipia, que l’on trouve habituellement dans les textes relatifs aux grands domaines pour désigner la population servile.
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Dans la première partie de cette étude, nous n’avons pu connaître qu’une minorité de la population, celle qui se composait des seigneurs et des propriétaires. Quant aux autres habitants, les documents du Moyen-âge ne les signalent qu’en termes généraux.
Le polyptyque de Saint-Vanne, rédigé vers l’an 1050, montre des haestaldi, c’est-à-dire des serfs non casés, dispersés sur le domaine ; ils payaient une capitation de deux deniers, ce qui implique une possibilité d’épargne provenant d’un salaire. L’acte de vente de 1091 emploie le terme générique de mancipia, que l’on trouve habituellement dans les textes relatifs aux grands domaines pour désigner la population servile.
En 1250, dans la charte d’Elisabeth de Bar relative à la forêt banale, c’est le mot mansionarii qui désigne cette classe, expression qui marque certain progrès social, en évoquant l’idée d’habitation. Au surplus, ce document montre les mansionnaires jouissant de droits d’usage dans la forêt banale, et obtenant — c’est l’objet même de la charte - - une extension de la zone où s’exerçaient ces droits. Nous y voyons aussi que les obligations serviles étaient réduites au paiement d’un cens, census servagii, dont on s’acquittait au nouvel an.
Le procès relatif à la seigneurie, qui se plaida devant les échevins de Liège en 1355, et la transaction qui suivit nous révèlent la sanction appliquée en cas de non-paiement : le maïeur ou le forestier faisait enlever la porte du débiteur en faute et ne la replaçait qu’après acquittement.
De quoi pouvait vivre cette population qui ne possédait pas le sol nourricier ? Elle avait deux ressources : le travail salarié sur les terres du seigneur et des autres propriétaires, et l’usage des biens communaux, bois et terres.
Le rôle du salariat se révèle par le groupement d’un certain nombre d’habitations dans l’entourage des centres de culture ; en premier lieu dans le quartier de l’église, dit aujourd’hui petite Gesves, où se trouvaient le château et les principales fermes ; ensuite à Houte, à Hoyoul et à Spasse, autres centres agricoles. Chacune des exploitations groupait quelques domestiques, dont les habitations formaient un petit hameau, une ville, comme disent les documents du Moyen-âge en traduisant littéralement le terme villa à l’époque romaine.
Plus nombreuse fut la population qui dut son développement aux biens communaux.
Les données que nous possédons quant à l’étendue des terres communales ne sont pas d’une rigoureuse exactitude; elles montrent, en tous cas, l’énorme proportion du territoire qui resta, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, utilisée collectivement. Certains documents donnent le chiffre de 1.800 bonniers, soit 1.720 hectares. Le relevé de 1602 porte à 1.000 bonniers l’étendue des communaux dont l’usage appartenait aux manants, déduction faite de la part considérable dont la jouissance était réservée au seigneur. Plus des deux tiers du territoire appartenaient donc à la communauté des habitants, si bien que l’on peut dire de ceux-ci que, pauvres individuellement, ils étaient riches collectivement.
De cet ensemble, le massif le plus important était le Grand-Bois, qui couvrait toute la moitié septentrionale du territoire, et dont les lisières descendaient dans la vallée du Sozon (actuellement fonds de Gesves). La partie du Grand-Bois qui était demeurée domaine propre du seigneur, suivant la convention de 1250, contenait-environ deux cents hectares et s’étendait vers l’extrémité nord, séparée de la propriété communale par une ligne droite qui, aujourd’hui encore, forme limite.
Le mamelon qui sépare la vallée du Sozon de celle du Hoyoux, appelé Huy ou Sur-Huy et actuellement garni d’habitations, était autrefois couvert de bois sur une étendue de plus de deux cents bonniers et formait le bloc le plus important de terrains communaux après le Grand-Bois.
Sur tout le restant du territoire, étaient disséminés de petits bois ou boquetatix entourés de terres vagues qui appartenaient à la, collectivité des habitants. Le conseiller Thomas, qui fut chargé d’une enquête sur l’état des bois en 1646, rencontra, au cours de sa promenade, des « pièces de communauté » à Cierpon et à Champia ; la Chau-Hez; la petite Fagne; le bois del Hez, dont huit bonniers étaient communaux et le reste, seigneurial ; aux limites de la seigneurie de Wagnée, un bois communal assez étendu qui entourait le hameau de Pourin; des parties communales, bois et terres, aux lieux de Bableuse, Lornoy, Bosimont, Beronsart (12 à 15 bonniers), Ladrie. A cette vaste étendue, les manants de Gesves prétendaient ajouter le bois de Saint-Martin, au territoire de Sorinne-la-Longue, que le seigneur d’Assesse leur contestait.
Par quel processus, ce domaine collectif permit-il à la population servile de sortir peu à peu de sa misérable condition ? Rappelons que le droit d’user de la forêt banale appartenait aux habitants de Gesves bien avant l’année 1250 et qu’à cette époque, l’étendue où il s’exerçait fut augmentée d’un quart, moyennant paiement d’un cens minime qui s’ajouta au cens de servage.
Les manants avaient d’abord le droit de prendre dans les bois communaux les matériaux dont ils avaient besoin pour construire et entretenir leurs habitations. A la longue, un tel droit ne laissa pas d’engendrer des abus. Réservé aux habitants, il fut usurpé par des nouveaux venus, grâce à la complaisance du seigneur ou des autorités locales. D’autre part, il dégénéra en pillage, chacun abattant ce qui lui convenait, sans méthode ni direction, et souvent plus d’arbres qu’il n’en fallait, laissant pourrir sur place lès troncs inutilisés. Nous exposerons plus loin les conséquences de ce gaspillage qui attirèrent l’attention des pouvoirs publics aux XVIe et XVIIe siècles. Il ne s’agit ici que de constater l’utilité de la forêt communale au point de vue du logement. La demeure construite avec le bois de la communauté devait répondre, à la condition sociale du propriétaire, sans plus, et n’être utilisée que par lui et sa famille.
La forêt fournissait à chaque ménage sa provision de bois de chauffage. Une répartition se faisait des portions de taillis; le seigneur avait droit à une portion double de celle du plus grand cultivateur ; les laboureurs (c’est-à-dire ceux qui cultivaient une surface d’une trentaine de bonniers et plus), prélevaient le double des simples manants, et les veuves la moitié.
Mais c’est par le droit de pâturage dans les bois et sur les terres « à gazon » que les communaux rendaient les plus grands services. Disséminés comme ils l’étaient sur toutes les parties du territoire, ils offraient aux non-propriétaires d’amples espaces où la volaille et le bétail s’ébattaient et se nourrissaient.
Dans les bois, on mène paître les bêtes à cornes, les chevaux - autre cause de destruction - et surtout les porcs pour la glandée. Ce dernier usage, qui était d’un grand intérêt pour tous les habitants, petits et grands, fut réglé de telle manière que, les bois du seigneur et les communaux formant un tout, le seigneur d’une part et l’ensemble des manants, de l’autre, y menaient un nombre égal de porcs. Le chiffre était fixé et la répartition décrétée chaque année.
Ces différents usages, si utiles qu’ils fussent à qui ne possédait pas une parcelle du sol, ne pouvaient cependant suffire. Il fallait la possibilité de cultiver. Or, les terres défrichées durant les premiers siècles du Moyen-âge appartenaient, comme nous le savons, au seigneur et à quelques familles privilégiées qui les conservaient jalousement. Où le non-propriétaire pourrait-il trouver le lopin qui lui était indispensable, si ce n’est dans les terres communales ? Celles-ci étaient en principe inaliénables ; mais la culture s’en empara, sans en modifier le caractère juridique, par le moyen des « sartages », défrichements parcellaires, qui se pratiquèrent sans doute bien avant l’époque où les documents écrits en signalent les abus. Une ordonnance de 1573 prétendit régler le mécanisme de ce système : « Chaque manant pourra essarter un demi-journal de terre (12 ares) pour y mettre une récolte, et recommencer l’année suivante sur la terre voisine du premier sari. Les habitants d’un même hameau cultiveront des terrains contigus, qui seront partagés entre eux par tirages au sort, à l’intervention de commissaires ». Un autre règlement permit aux habitants, travaillant eux-mêmes, d’essarter les petits bois communaux et d’emblaver deux fois de suite les parties essartées, une fois en blé, l’autre en marsage ; puis ils doivent laisser la terre en repos plusieurs .années.
Par ces règlements, on tentait de remédier à un désordre dont le résultat le plus clair était la ruine des communaux. En 1607, une enquête constate que 600 bon-mers de bois sont réduits en bruyères, par les sàrts qu’y font les manants, et par le pâturage de leurs bêtes. Ainsi en est-il notamment à Beronsart, Brionsart, Chambia, Cierpont, Huy, Pourin, Ladrie.
Sur ces essarts, on cultivait du blé, de l’avoine, du lin et des légumes. Les plus audacieux, hantés par l’attrait de la propriété privée, enclosaient les surfaces essartées « à leur bon plaisir comme si c’étaient leurs propres héritages ». L’autorité sévissait, condamnait à des amendes ou au don d’un cierge d’une livre pour l’église; rien n’y Faisait. Mais, juridiquement, les essarts demeuraient propriétés communales et retournaient à l’état de terres vagues ; on ne peut y voir une transition vers le régime de la propriété privée.
Il ne faudrait pas croire toutefois qu’au début de la période que nous considérons, c’est-à-dire du XVIe siècle, la petite propriété était inconnue sur le territoire de Gesves ; entre la grande et la moyenne, d’une part, les communaux de l’autre, elle avait quelque peu filtré, cela par deux moyens.
Par des infractions au principe de l’inaliénabilité des terres de communauté. En 1601, le procureur fiscal des bois accusait la commune de Gesves d’avoir vendu quatre bonniers du fonds communal à Téchevin Hubert Robert, une autre parcelle à Jean Robert, et plus de deux bonniers à Jean Hubert. Nous possédons l’acte d’une de ces ventes : le 2 mai 1595, Jean Robert acquit trois » journaux et 24 verges de terre communale à Brionsart -pour 77 florins 10 patars payés comptant et que la commune utilisa pour acquitter « plusieurs tailles, subsides et contributions en quoi les manants sont taxés, et fournir aux grandes afflictions dont ils se ressentent journellement pour ce temps calamiteux ». L’échevin François de Houte avait reçu pouvoir de vendre, tant au nom du seigneur que des manants. Une telle opération était, en effet,’ bien excusable par le temps qui courait.
Au cours d’une enquête qui eut lieu en 1607, Messire Orban Michel, curé de Gesves depuis 27 ans, déclarait que de telles ventes étaient justifiées par les nécessités financières, notamment par les charges que les guerres imposaient, et que d’ailleurs les terres vendues ne portaient que genêts et bruyères, tandis que les acheteurs les ont améliorées à grands frais, y ont bâti, en ont fait de bonnes prairies et terres à labour.
Cette déposition du vieux curé condamne implicitement le régime des communaux, tel qu’il subsistait encore à Gesves au XVIIe siècle. Utile dans les premiers siècles du Moyen-âge pour aider les serfs à franchir les premières étapes vers la condition de cultivateurs libres, il devenait nuisible en retardant la diffusion de la propriété et maintenait des pratiques d’imprévoyance et de gaspillage. Cependant, il faudra la dernière période de l’Ancien Régime et l’influence des économistes pour que la petite propriété individuelle remplace, par une mesure générale, le domaine collectif.
Avant cette évolution décisive, qui sera étudiée plus loin, c’est le seigneur lui-même qui fut le principal agent d’une certaine diffusion de la propriété parmi la population pauvre. Non pas qu’il ait laissé morceler le beau domaine agricole constitué par Julienne de Gesves au XIVe siècle. Mais certaines parties de bois, qu’il possédait ou pouvait revendiquer, n’étant guère productives, le moyen de les mettre en valeur était de les concéder à charge de rente. Nous savons que, en 1381, Guillaume de Bolland, seigneur de Gesves, vendit à Hankin de Hourt et à ses associés la superficie de 75 bonniers de bois pour l’alimentation de leur forge. Une partie de ces bois occupait le fond de Sozon, la région précisément où l’on voit s’établir une nombreuse population. Il est vraisemblable que, à la suite de cette coupe, les cessions de parcelles commencèrent. Lorsque s’ouvre la série des comptes de la seigneurie, en 1561, on constate que le seigneur de Gesves était créancier de rentes en épeautre, en avoine, en argent, sur quantité de petits biens sis dans la vallée du Sozon et aux Forges. Comme il s’attribuait la propriété des ce marches le long des communes », c’est-à-dire des lisières, il disposait des terrains les plus propres à la formation de petites propriétés. Le recensement de 1602, après énumération des grosses fermes que nous connaissons, relève 71 petits propriétaires : l’un possède deux petites maisons, trois possèdent chacun une maison et un bonnier ; 17 ont ensemble 8 bonniers et demi ; 34 ont leur maison et, globalement, 7 bonniers; 16 ont ensemble 4 bonniers.
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Ce qui vient d’être dit sur les moyens d’existence de la population non-propriétaire explique d’avance les groupements d’habitants que nous allons constater dans les diverses régions du territoire de Gesves.
Le plus ancien document statistique que l’on possède, quant au chiffre de la population, est la « déclaration des villes champestres avec le nombre de feux estans en icelles » faite pour le duc Charles de Bourgogne en 1469. La terre de Gesves, avec ses hameaux, est comptée pour 25 feux. Mais, à la lecture de ce document, il saute aux yeux que le mot jeu n’y est pas pris dans le sens d’habitation. Le nombre de vingt-cinq est celui des manoirs ou fermes abritant cette minorité de possédants que nous ont révélée les documents du Moyen-âge ; tels sont autour de l’église, le château, la brasserie, la maison du Charlier, le presbytère, les fermes du château, de Coux et de Pierre, là maison délie Fosse, celle du marguillier, quatre fermes à Spasse, la grange de Borsu, le manoir et la taverne de Francesse, les moulins de Hoyoul et de Wagnée, les maisons de Houte et de Hoyoul, la forge : voilà 21 jeux, parmi lesquels pas une demeure de petites gens. Le recensement de 1469 ne fut donc pas général.
Un document presque contemporain donne à entendre que le nombre des ménages (masuyers) s’élevait à cent et vingt,.
Le compte des recettes de la seigneurie pour 1538-1539 relève 106 ménages payant chacun un denier tournois pour l’usage de la forêt banale, suivant le compromis de 1251. Pas d’exception à cette obligation ; le chiffre de 106 est donc celui de tous les ménages (16).
Le 1er janvier 1562, ce même denier était dû par 150 habitants, nombre qui continue de s’élever durant les années suivantes pour atteindre 172 en 1574.
Quant à la répartition des foyers entre les hameaux : le bourg de Gesves groupait une quarantaine d’habitations, Houte quatre ou cinq, Spasse et Francesse de treize à quinze. Là résidaient les grands cultivateurs et leur personnel domestiqué (18). Au hameau de Pourin, nous trouvons cinq ou six ménages faisant leur profit de l’important bois communal et des pâtures riveraines. Mais la portion la plus nombreuse des ménages -- 84 en 1562, 104 en 1570, 108 en 1574 - - est dès lors établie dans la vallée du Sozon (actuellement les Fonds), sur une ligne où se succèdent trois agglomérations : Brionsart, Sozon, les Forges. Ces lieux offraient les avantages d’un cours d’eau et des ressources, qui semblaient inépuisables, du Grand-Bois, du bois de Huy et de leurs lisières converties en « sarts » ou en terres vagues par une exploitation désordonnée.
Cette première nomenclature de tous les habitants fait connaître les noms des familles.
Il en est qui furent souvent citées dans la première partie de cette étude : délie Fosse, de Francesse, de Houte, de Hoyoul.
Parmi les autres, plusieurs dérivent de l’endroit habité : del boverie, des champs, du molin, del bascourt, de Tirijaix, de sur-les-sarts, du bois, de Spasse, du forny, de Soson, de ives, de tries. D’autres viennent de diverses localités : de Wanlin, de Frisée, de Ramlo, de Borsu, de Sorée, de Loges, de Gosnes, de Tirteaux, de Cassa, de Scy, de Craheaux, de Floyon, d’Ahan, de Sovet, de Natoye, de Bienne, d’Osongne, de Maillen, de Morimont, de Warnant, de Crupet, de Ronvaux.
Beaucoup ne sont que des prénoms devenus patronymes : Jacques, Martho, Micha, Félix, Hubin, Pirot, Ansiaux, Crustophe, Joulet, Linart, Gauto, Lambo, Jamot, Colignons, Voë, Jaspar, Hacquin, Robert, Gilca, Quinet, Henra, Jaquet, Daniaux, Lambert, Gilson, Joset.
Certains ont un sens professionnel : l’ost, le moulny, maistré d’hôtel, le marchaux, le bresseux, le permenty, le cheront, le fonder, le pety bresseux, le cherpenty, le clipteux, le cordesy, le tesseux, le hierdy.
D’autres enfin relèvent de caractéristiques personnelles: le grand monsieur, le noir, le brun, joeux, jaucnet, favet, noquet, beny, tripet, le gergaux, le boly, gros,hotaux, genêt, sacré, le moschons, le raviox, Madame boiliauwe, le beaux, le croies, tripelet, le fadeux, le tixon, le burton, le misson, le méstre.
Cette première série de comptes, rapprochée des données sommaires que nous possédons pour l’année 1538-1539, montre que la première moitié du XVI0 siècle fut favorable au progrès de la population. Mais, en 1577, s’ouvrit une période néfaste, où, tout à tour, la guerre et la famine désolèrent la région de Namur qui fut, sous le gouvernement de don Juan d’Autriche, le centre des opérations militaires. L’année 1587 vit la misère à son comble. Abandon de la culture, désertion des villages, mortalité par la famine : tels sont les aspects du tableau que présenta ce pays. En 1595, la guerre se ralluma dans la région de Huy. Nous en trouvons l’écho dans les plaintes des habitants de Gesves, au sujet de leurs difficultés financières et de la nécessité où ils se trouvent de vendre des portions du domaine communal. Le village, dit-on, est entièrement appauvri par les tailles et les logements de militaires. Les habitants se retirent ailleurs pour éviter les ce passées et repassées de soldats », qui ont bien coûté au village dix mille florins. Le château devenait un refuge où les paysans sauvaient leur bétail et ce qu’ils avaient de précieux, bêtes et gens y apportant des maladies.
Les comptes de la seigneurie traduisent le dépeuplement et l’appauvrissement qui résultèrent de ces calamités. Lorsque, après une lacune de quinze ans, commence une nouvelle série (1589), nous trouvons le nombre des ménages réduit à 135, de 172 qu’il était en 1574. Il s’abaissa encore dans les années suivantes, pour remonter à 150 en 1611, quand une trêve rétablit la sécurité. Ge ne fut pas pour longtemps. Nouvelle alerte en 1622, lorsque le bâtard de Mansfeld pénétra avec une armée dans le comté de Namur. Plus grave fut l’invasion des soldats du duc de Lorraine qui épouvantèrent et désolèrent le pays durant une longue période. L’année 1636 notamment fut tragique : 113 morts seront inscrits dans le registre paroissial, dont quantité d’enfants et des fugitifs.
Après ce sinistre épisode, c’est la guerre avec la France qui tint le pays sous une menace permanente d’invasion et de pillage. En 1646, des partis français infestaient la région. Le baron de Balançon, qui commandait à Namur au nom du roi d’Espagne, requit le prévôt de Poilvache de recruter dans son ressort cent hommes bien armés et pourvus de munitions et de les amener à Namur dans la soirée du 31 mars. Le capitaine de Gesves, Guillaume du Rieu, amena trente hommes, qui n’arrivèrent pas à temps pour empêcher des pillages à Scy, Spontin, Assesse et ailleurs. L’année suivante, pour empêcher « les courses, pilleries, saccagements et brûlements » des Hollandais et autres ennemis du Roi, il fut jugé nécessaire d’armer tous les habitants. En conséquence, le gouverneur commit Adam de Thier, chef et capitaine de tous les manants de la terre de Gesves, avec charge de les ranger en une compagnie et de prendre tels officiers qu’il jugera convenir, voulant que ceux qui manqueront à la garde établie auront à payer un florin d’amende pour chaque fois ; et ceux qui ne se trouveront pas aux alarmes en payeront quatre et seront châtiés arbitrairement.
Telle était- l’insécurité, que les fonctionnaires chargés d’une enquête sur l’état des bois communaux en 1646, craignirent de s’aventurer de Namur à Gesves sans une escorte de quinze soldats ce pour les périls des chemins, tant de l’ennemi français que des rebelles ».
En 1654, on n’ose pas mener un prisonnier de Namur à Gesves, pour l’exécuter, « comme il fait très dangereux le mener à Gesves, tant pour les soldats voisins, ennemis français et volontaires liégeois, qui sont tous gens de sang et de corde (sic), meurdrissans ceux qu’ils rencontrent ».
Le compte des revenus seigneuriaux pour l’année 1647 décrit avec précision l’état de choses qui résultait d’une longue période de ravage et d’insécurité. La nomenclature des maisons, désignées par les noms des propriétaires, forme un total de 151 ; de ce nombre, deux étaient démolies et 42 abandonnées ; 13 étaient occupées par des gens trop pauvres pour payer les tailles. Du nombre des solvables, il fallait retrancher quelques exemptés pour causes diverses, si bien que, tout compte fait, la recette n’était que de 88 cotisations.
Une amélioration se dessina dans la seconde moitié du siècle. Entre 1650 et 1660, le nombre des payants dépasse la centaine ; dans les dix années suivantes, il oscille entre 120 et 130 ; il atteint 140 en 1680 et 150 en 1687. En effet, le fléau de la guerre qui, durant ces années, dévasta la rive gauche de la Meuse, épargna la rive droite et laissa notre village dans une quiétude relative.
C’est ainsi que, à la fin du XVIIe siècle, Gesves avait retrouvé une situation analogue, quoique un peu amoindrie, à celle que nous constations avant les épreuves de la fin du XVIe.
Durant cette période, la répartition des terres évolua au bénéfice de la petite propriété. Le mesurage général de 1687 accuse un état de choses assez différent de celui que décrivait le terrier de 1602. Deux grandes exploitations constituent le domaine seigneurial: c’est la ferme du château, avec 120 bonniers, et l’antique censé de Pierre avec 96 bonniers. L’abbaye de Grandpré possède toujours la grange de Borsu, de 114 bonniers, et une ferme à Spasse, qui régit 71 bonniers dont 18 sur Wallay. Le bien de Houte est morcelé, mais le charruage de Hoyoul, qui en a annexé la moitié, s’étend sur 88 bonniers. La ferme de Maucrau, dans le bourg de Gesves, formée des anciens biens délie Fosse, compte 55 bonniers. A Spasse subsistent deux grosses exploitations, de 51 et 42 bonniers. Morcelée aussi, la terre de Francesse, dont la part la plus importante mesure 41 bonniers.
Pour le surplus, nous constatons qu’un nivellement s’est opéré vers le bas : résultat des partages et de l’appauvrissement. Nous relevons sept cotes de 10 à 21 bonniers ; 13 de 5 à 10, une soixantaine au-dessus d’un bon-nier, et autant en-dessous.
Le nombre total des propriétaires n’était guère inférieur à celui des ménages. Si l’on compare avec le recensement de 1602, le progrès est sensible dans la catégorie d’un à cinq bonniers, contrepartie de l’effritement de plusieurs grandes exploitations. Dans l’ensemble, l’aire cultivée s’est encore étendue durant cette période, au détriment des bois, en attendant la grande opération de partage des communaux qui terminera cette évolution. Entre ces petits propriétaires et les grands, une discussion surgit en 1686, au sujet de l’assiette des tailles, les petits se prétendant lésés. C’est pourquoi fut ordonné, en 1687, un mesurage général des propriétés qui devait servir de base à l’établissement des tailles.
Au cours de la période ci-dessus décrite, de nouveaux noms font leur apparition dans les comptes seigneuriaux.
Fin du XVP siècle : de Hayault, Macka, de Cave-renne, de Marleir, de Hody, Dawant, de Gerbehaye, Willemotte, de Halloy, Pacquet, Demptinne, Dodeit, Bcugelet, Grosse, Collet, Quewet, de Fraiteur, d’Eve, de Cochaude, de Moha, de Jauce, de Saint-Severin, Permette, de Hainaut, Somia, de Libaing, du Coin du Mur, de Plenevaux, de Haillo, Questeau, de Ry, de Ladrier, de Nallamont, Lalemant, de Godine, de Reppe.
Dans le courant du XVII0 : Galliot, Cornelis, Salmon, Anoul, Delhai.se, Jadot, de Vervy, du Rieux, Fabri, de Verlaine, Alexis, de Sprumont, Mennage, Devaux, Tonet, Rendu, Idoul, de Thier, Jamin, Minet, Servais, Meurice, Germain, Genin.
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Au XVI siècle, la population de Gesves était généralement illettrée. Les procès-verbaux d’enquêtes constatent que la plupart des témoins sont incapables de signer et n’apposent qu’une marque. Un certain progrès se manifeste au cours de cette période, en ce sens qu’un petit nombre de signatures apparaissent, tracées plus ou moins aisément par les principaux manants. Le siècle suivant vit s’accentuer ce progrès et s’ouvrir une école, dont nous ne saurions dire toutefois si elle fut passagère ou permanente ; elle est signalée par le compte seigneurial de 1647, où se trouve inscrit Maximin Lebrun magister, qui mourut dans le courant de cette année. En 1666, un visiteur diocésain note que le marguillier a ouvert une école assez fréquentée. Un document de 1786 fait allusion au fait que l’instruction était donnée par un instituteur ecclésiastique, moyennant une contribution fournie par le seigneur et la collectivité des habitants. De cet ensemble de données, on peut conclure que l’enseignement primaire fut organisé à Gesves durant les derniers siècles de l’Ancien Régime et même la seconde moitié du XVIIe. Toutefois, la proportion d’illettrés ne se réduisit que lentement; à la veille de la Révolution, il semble qu’elle dépassait encore la moitié de la population. Le 22 septembre 1779, une assemblée générale des manants ayant été convoquée pour statuer sur certaines suites du partage des terres communales, le procès-verbal porte quarante-quatre signatures et trente-neuf marques ce pour ne savoir écrire ». A ce dernier chiffre, qui est celui des illettrés, nous devons ajouter une cinquantaine d’absents, dont la plupart étaient sans doute des ignorants, incapables de participer à une délibération.
Cela nous amène à la question de savoir dans quelle mesure cette population, que nous avons essayé de connaître, avait part aux décisions relatives aux intérêts généraux du village. Trois fois par an, en janvier, à Pâques et en octobre, les manants étaient convoqués pour les « plaids généraux », auxquels ils devaient assister, sous peine d’amende. Ces assemblées n’avaient pour objet, la plupart du temps, que de publier les règlements relatifs à la police et aux monopoles seigneuriaux ; elles ne donnaient pas lieu à délibération. Autre chose lorsqu’il s’agissait d’une innovation qui touchait aux intérêts de la collectivité. Dans ce cas, il résulte clairement des documents que la population avait son mot à dire et pouvait tenir en échec la mesure projetée.
Nous en avons vu un exemple dès 1432, lorsque l’armée liégeoise ayant incendié les moulins, Jean de Juppleu proposa d’établir comme moulin banal le moulin de Hoyoul, qui devrait desservir la clientèle de Gesves et de plusieurs villages voisins qu’il possédait, de longue date, dans son ressort. « De laquelle remontrance ainsi faite par le seigneur, tous les masuriers présents furent d’accord, à une voix, sans y avoir nuls débattants, considérant que c’était leur profit et celui de leurs successeurs». Voilà une délibération.
Entre 1550 et 1650, le régime des bois communaux, dont nous aurons à parler plus loin, fut l’objet de nombreuses assemblées de manants, dans lesquelles les propositions des seigneurs ne furent pas toujours acceptées. Pour écarter1 les objections formulées par les premiers, des articles furent retirés ou des amendements introduits. A mesure que le temps avance et que s’atténue la rigueur du régime seigneurial, la collaboration de l’assemblée au gouvernement local se fait plus active. Ainsi en 1672, pour la nomination du marguillier, on vote et le sergent fait la collecte des voix (31).
En 17,71, nous trouvons un exemple typique de délibération et de vote. Il s’agissait d’un nouveau règlement proposé par les Etats de Namur à l’agréation du peuple de Gesves ; on vota. Les grands propriétaires jouissaient d’un vote plural ; le seigneur avait six voix, l’abbé de Grandpré, cinq, Laurent Malisoux et Florent de Cardart, chacun deux. Or qu’arriva-t-il ? La coalition du seigneur, de l’abbé et de Malisoux, grossie de quelques petits propriétaires, n’emporta pas la majorité (32). Après le partage des communaux (1779) nous verrons les manants-de Gesves s’opposer aux compensations réclamées par leur seigneur, tenir réunions sur réunions, et le débat finir par une transaction.