C.DE LA SEIGNEURIE «ENGAGERE» A LA FIN DE L'ANCIEN REGIME.
1. ENGAGEMENT DE LA SEIGNEURIE HAUTAINE.
Les guerres du XVIe siècle se poursuivent au XVIIe siècle. Si elles touchent gravement les habitants, elles créent aux princes des difficultés financières terribles. Lever ces armées de mercenaires et moderniser l'armement sont des opérations qui coutent cher. Les impôts deviennent donc de plus en plus réguliers et importants. C'est ainsi qu'au début du XVIIe siècle un cadastre primaire appelé terrier est rédigé afin d’organiser la perception des impôts (1). Un autre moyen pour le prince de se procurer de l'argent est de vendre ou d'engager des seigneuries. En échange de sommes sou¬vent considérables, il cède à des particuliers la souveraineté sur une portion de son territoire. Le souverain abandonnait donc l'exercice du pouvoir civil et de la justice, la perception des impôts et différents droits qu'il s'était réservés. Dans le cas de Mozet il s’agit non d'une vente définitive mais par engagère, c'est -à-dire temporaire; le prince, pouvait théoriquement reprendre le bien ainsi aliéné afin de le concéder à un autre à la suite d’une surenchère, le réintégrer dans son domaine ou le vendre de façon absolue.
La vente par engagère de la seigneurie hautaine de Mozet eut lieu le 7 septembre 1638 (2). Du Four déjà propriétaire foncier depuis 1622, l'acheta pour une somme de 2000 livres. «Cette somme - écrit le receveur général des domaines et des finances ira à payer des gens de guerre, des achats de poudre et autres munitions et provisions» (3).
La seigneurie hautaine de Mozet comprenait le territoire de Mozet, sans Goyet, Bas¬seilles et Mont-Sainte-Marie mais avec une partie de Jausse-les-Ferrons comme le montrent les dénombrements qui à chaque nouveau possesseur en exposent les limites et la consistance (4).
2. LA CONSTRUCTION DU CHATEAU.
Toutes les recherches effectuées pour trouver des précisions sur le château avant sa présentation en 1738-44 dans « Les Délices du pays de Liège» (5) ont été vaines. Nous reviendrons sur cette description, mais à défaut de date précise, il est possiblee de situer l'époque de construction du château.
Les spécialistes rattachent l'édification des nouveaux châteaux au phénomène d’engagère des seigneuries (6). Les acheteurs étaient toujours des propriétaires opulents enrichis par l'exercice de fonctions impropres à la noblesse ou par l'industrie. Ils trouvainet sans doute dans cet achat un placement d'argent mais ils appréciaient surtout le prestige de l'autorité qu'il leur conférait.
Ces nouveaux riches éprouvaient le désir et la nécessité de rénover les construction qui étaient le siège de la seigneurie.
Deux critères principaux vont les guider; le confort et la sécurité. Le nouveau château doit être un logis de plaisance pour un homme comme Du Four qui ne possède que cete seigneurie et aime s'y montrer et recevoir des amis. Mais il doit rester un bastion défensif pour lui et pour la population. En 1737 encore, le conseil provincial demande des mesures énergiques pour assurer la sécurité des habitants des campagnes qui n’osent plus se rendre aux champs (7).
A la suite des guerres, des troupes de brigands sillonnent la région, troupes formées de vagabonds, déserteurs et personnes qui ont dû quitter leurs terres. Les bâtiments seigneuriaux doivent donc en cas de danger abriter les paysans et le bétail.
Par conséquent les constructions vont prendre la forme d'un vaste quadrilatère enserrant une cour intérieure. L'aspect d'ensemble reste celui d'une forteresse avec échauguettes et tours d'angle. Les murs sont percés de rares ouvertures et entourés de fossés
Si l'on compare ce château type du seigneur gager du XVIIe siècle avec celui de Mozet la ressemblance est frappante. De même, Du Four ressemble au personnage du riche acheteur désireux d'asseoir son prestige. Vraisemblablement c'est lui qui a élever le château, lui qui possédait déjà la seigneurie foncière en 1622, qui achète seigneurie hautaine en 1638 et en restera propriétaire jusqu'à sa mort en 1658(8).
Un bref regard sur la liste de ses successeurs au XVIIe siècle confirme cette hypothèse. Son beau-frère Nicolas Nonet ne peut garder la seigneurie que quatre ans. Il la cède à Marc-Antoine Lambert, qui est obligé de vendre la seigneurie foncière 1667 puis hautaine en 1671 (9). L'acheteur est cette fois un grand seigneur, François de Corswarem, chevalier de l'ordre de Callatravie. Mais dès 1673 il achète à son la seigneurie de Faulx. Il est seigneur de Faulx avant d'être seigneur de Mozet où il ne réside pas (10).
3. Le CHATEAU AU XVIIIe SIECLE.
« Les délices du pays de Liège et de la comté de Namur» ouvrage précieux pour l’histoire des principaux monuments de la région fournit une description précise du château de Mozet au début du XVIIIe siècle. Deux dessins de Remacle Leloup destinés primitivement à illustrer ce livre complètent le texte (11).
Voici comment De Saumery nous parle:
« Le château est environné d'une vaste pelouse plantée d'arbres qui lui tient lieu d’avant-cour. On y trouve premièrement un pavillon percé de deux grandes arcades, qui forme la première entrée et joint deux bâtiments uniformes destinés à des usages rustiques.
Le corps de logis se présente en face flanqué de quatre petites tours et accompagné de deux bâtiments collatéraux auxquels il communique par deux galeries couvertes et fermées de balcons. La principale face de cet édifice est opposée à la cour et règne sur une large terrasse revêtue de pierres de taille, où l'on a construit un parterre, qui tire son plus grand avantage du charmant paysage, que lui forme un vallon spatieux et peu profond, dont les champs mêlés de bocages et séparés par plusieurs chemins bordés d’arbres, forment un croissant bordé de grands bois de haute futaie. On entre du coté de la basse-cour par un large perron qui enfile un escalier large et bien proportionné au bout duquel est une chapelle bien propre, ouverte en arcade sur une grande salle qui communique de plein pied aux appartements du premier étage. Ce château en a deux qui sont également bien entretenus et dont les diverses pièces se communiquent par des corridors bien ménagés, outre les offices qui sont placés au rez-de-chaussée et qui se distribuent en divers lieux de commodité indépendamment des caves qui sont au-dessous» (12).
Les fossés et le pont-levis qui devaient protéger le château au XVIIe siècle ont : disparu, mais les ouvertures étroites restent; le rez-de-chaussée et le second étage ne s'ouvrent que sur des meurtrières (13). Les échauguettes disparaîtront à la fin siècle pour faire place aux deux tours carrées actuelles. Ces travaux furent effectués entre 1771 et 1806 ; sur la carte de Ferraris (14), le plan du château présente la même configuration qu'en 1744. Par contre en 1812 sur le cadastre primitif, (15) le quadrilatère est parfait; il a été complété par l'adjonction des deux tours latérales.
4. LES DERNIERS SEIGNEURS DE MOZET.
Après Du Four et les Corswarem, trois familles se succèdent à Mozet: de Hemricourt, de Haxhe et de Ghisels.
La seigneurie ne porta pas chance à ses propriétaires. Le receveur de Narnur, Pierre-Lambert Posson saisit la seigneurie hautaine et le chapitre de St Aubain à Namur la seigneurie foncière en 1709, parce que Ferdinand Conrad de Haxhe était en retard dans le payement de rentes (16). Richard de Hemricourt paya les dettes et racheta la seigneurie. En 1735 les premières difficultés survinrent pour son fils et en 1743, un huissier «du Souverain Bailliage» fit mettre arrêt sur tous les biens du seigneur en raison du non-paiement d'un transport fait pour le compte de feu son père (17). Les De Ghisels rachetèrent finalement la seigneurie en 1744 et furent les derniers seigneurs d'ancien régime.
Richard de Hemricourt était seigneur de Ramioul; Sart; Seron; Meffe etc... il réside à Liège et c'est de là qu'il envoie ses lettres de nomination aux maïeurs (18). Quant à Nicolas-Joseph-Denis de Ghisels, il est grand greffier de la ville, cité, pays et souveraine justice de Liège (19).
L'un et l'autre habitent peu à Mozet. Le fermier disposait de tous les bâtiments de la ferme sauf le pigeonnier et une écurie dans l'aile droite en entrant par le nord. Le châ¬teau était laissé à la disposition du seigneur qui y résidait quand il le voulait (20).
La tourmente révolutionnaire n'épargne pas Mozet. De mai à novembre 1790 lors de la Révolution Brabançonne, les troupes de l'armée Belgique ont occupé le château et l'ont transformé en hôpital et prison. Les bâtiments ont subi des dommages; des portes, des vitres, des serrures, des meubles brisés. Les soldats ont emporté de la lin¬gerie et de la vaisselle. Une autre conséquence grave de ce passage est la perte d'une quantité d'archives ; le coffre a été détruit à coups de sabre, les archives ont été épar¬pillées et beaucoup ne purent être récupérées (21 ). Le camp de Mozet comprenait le régiment de West-Flandre, les dragons du Hainaut et ceux de Deberstein (22).
Pendant le mois de décembre 1792, les soldats de la légion des Ardennes au ser¬vice de la République Française pillèrent la ferme du château. Les pertes furent es¬timées à 2806 florins. Six chevaux furent notamment volés mais l'on en retrouva un à Dinant et deux à Bouvignes (23).