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B. L'ECONOMIE RURALE.

1. LA SEIGNEURIE CLASSIQUE ET SON EVOLUTION.

Pour comprendre la répartition des terres et les rapports entre le seigneur et les ma¬nants pendant tout l'ancien régime, il est nécessaire d'avoir une idée claire de l'organisation d'une seigneurie à l'époque classique, c'est-à-dire vers le IXe siècle. Pour cette époque les documents sont muets sur Mozet mais on peut reprendre une description générale (1).
Grande ou petite, la seigneurie se divise en réserve et terre amansée. La réserve, appelée «mansus indominicatus» est exploitée par le seigneur pour son propre comte Un agent du seigneur organise le travail et le répartit entre les serfs domestiques, les corvéables et plus rarement des salariés. Cette réserve comprend des terres et des prés, des bois, des bâtiments agricoles, un moulin et une brasserie. La superficie du «mansus indominicatus» est variable, dans le namurois elle oscille en général entre 50 et 100 bonniers (2). En tout cas, elle ne constitue qu'une petite partie des possessions du seigneur.
Le seigneur dispose d'énormément de terres qu'il voudrait mettre en valeur et en plus, il a besoin de corvéables pour exploiter la réserve. Il va dès lors prendre l'habitude de concéder à titre héréditaire des portions de terrain, appelées manses, en échange d'un cens. Le cens est donc la «prestation due au seigneur en raison de la possession perpétuelle d'un fonds» (3) ; il peut prendre la forme de redevances ou de corvées.
A Mozet en 1361, le relief de la seigneurie nous met en présence de paysans qui doivent deux poules, d'autres un chapon, d'autres encore un setier (4) d'épeautre, pour certains déjà la redevance est en argent (5). Les possesseurs d'un manse pou¬vaient aussi être astreints à des corvées c'est-à-dire qu'ils étaient obligés de travailler gratuitement pour le seigneur; le plus souvent lors des grandes opérations agricoles mais parfois aussi pour des réparations au château etc...
Mais à partir du Xe siècle, le maître du domaine va créer à son profit de nouvelles charges qui ne pèseront plus seulement sur les occupants de ses terres mais sur tous les individus résidant dans une zone donnée sur laquelle il étend sa puissance. En vertu du droit de ban ou droit de commander le seigneur hautain impose des obligations à «tous ceux qui respirent son air» (6), pour la protection qu'il accorde.
Nous connaissons le détail des obligations personnelles pesant sur tous les hom¬mes de basse loi de la communauté de Mozet au Xllle siècle. A cette époque, le sei¬gneur de Mozet n'est déjà plus seigneur hautain, il n'a plus droit de ban et de justice. Le comte de Namur l'a remplacé et en 1265 il a «li cuens se taille... et li cuens se mortemain, se formorture, ses corvées et ses coumans, l'ost et le chevauchée et toute justice mais on le débat» (7).
La taille est un impôt sur le revenu qui se calculait sur les moyens de production. A Mozet elle valait 20 sous de Louvain en 1265,28 sous en 1289,31 sous en 1294 (8). La mortemain et la formoture sont des taxes très dures sur les héritages. En vertu du droit de mortemain le seigneur peut saisir le meilleur bien meuble de l'héritage d'un homme de basse loi laissant des enfants non émancipés et par celui de formoture, la totalité des meubles d'un veuf privé d'héritier direct. Les sujets devaient aussi payer un droit pour la protection accordée par le comte; «les commands». Ils étaient en outre tenus de répondre à son appel pour le service militaire, «l'ost et la chevauchée».
Au départ la superficie concédée au manant formait l'unité de redevance pour le seigneur et en même temps l'unité d'exploitation, le manse devait suffire à nourrir une famille. Rapidement l'accroissement de la population va entraîner le morcellement du manse qui cessera d'exister comme unité de redevance et désignera la maison avec ses dépendances; la propriété (9).
A partir du Xllle siècle, les seigneurs vont peu à peu cesser d'exploiter la réserve en régie et préféreront la louer à un fermier. Au XlVe siècle le faire-valoir direct est abandonné pratiquement partout.
Le paragraphe suivant décrira les classes rurales à laf in de l'ancien régime. A cette époque le seigneur continue à percevoir des cens pour la possession de bien fonds. Les redevances sont minimes et se paient encore parfois en nature. En 1733 Pierre Cornelis paie trois chapons en nature tandis que J.E. Gérard paie 24 sols pour deux chapons. Certains comme J. Gubin doivent encore deux journées de travail au châ¬teau mais ils en donneront la contrepartie en argent (10). Le seigneur de Mozet a ré¬cupéré également ses droit hautains depuis l'engager  de la seigneurie au XVIIe siècle (11). Ainsi tous les manants paient deux sols et un liard pour la taille du feu. Le droit de mortemain a été racheté moyennant le paiement d'une poule et d'un setier d'avoine (12).

2. LES CLASSES RURALES AU XVIIIe SIECLE.

Au XVIIIe siècle, les documents plus nombreux permettent une reconstitution de l'économie rurale et des différentes classes à Mozet, ce qui est particulièrement inté¬ressant puisque la plupart des habitants vivent de l'agriculture.

Les gros censiers.
Les gros censiers forment vraiment une bourgeoisie rurale. Les propriétaires des fermes ne font pas partie de la population rurale, ils louent à des censiers. A Mozet ils sont trois à se partager la majorité des terres. En 1793 la ferme du château comprenait 56 bonniers, la censé du Royer, 52 et la «censé Douxflamme», 72 (13).
Les terres de la communauté se distribuaient en trois parties ou soles. Les terres d'une même sole au cours d'une même année étaient toujours consacrées à. la même culture. Sur trois soles, la première était par exemple emblavée de blancs grains, épeautre et seigle, l'autre de grains de mars, et la troisième était en jachère, c'est-à-dire laissée en repos. Au XVIIIe siècle, les jachères étaient souvent remplacées par des plantes fourragères. Cette exploitation du sol basée sur l'assolement triennal explique le morcellement des propriétés: chaque ferme cultivait des terres dans chacune des trois parties (14). Cela excluait l'usage des haies et clôtures, la pratique de l'assole¬ment triennal est aussi à l'origine de la durée des baux de location : le nombre d'années était toujours un multiple de trois de manière à ce que la fin du bail coïncide avec la fin d'un cycle.
Le gros laboureur travaille avec toute sa famille et au besoin il engage des journa¬liers. Il est indépendant car il possède plusieurs chevaux de labour. Mais il connaît aussi de mauvaises années; en 1719, la cour de Mozet procède à un inventaire de la ferme seigneuriale car le censier est en retard dans le payement du loyer et il met ses biens en gage. Les échevins trouvent huit chevaux, quatre bœufs: six vaches, sept génisses, deux taureaux, six porcs et de l'outillage agricole (15).
Cette énumération montre l'importance de l'agriculture par rapport à l'élevage. D'après les estimations faites lors du partage des biens communaux vers la moitié du siècle le terrain est assez bon à Mozet, la ferme du château rapporte 400 florins par an (16). La production est composée d'épeautre, de seigle, d'avoine, de métillon c'est-à-dire seigle et épeautre mélangés, de secourion ou orge (en très faible quantité).
Les «petits manants».
On regroupe dans cette catégorie les paysans qui possèdent moins de 15 bon¬niers. A Mozet il n'existe pas de petitesf ermes d'une dizaine de bonniers. Les trois gros censiers exploitent environ 185 bonniers et 3 journaux.  Il est inutile de préciser que ces gens ne pouvaient vivre uniquement de leur récolte même s'ils étaient locataires de quelques lopins. Ils devaient donc louer leur force de travail dans les grosses! ermes. Ils pouvaient aussi élever quelques bêtes, grâce au pâturage collectif sur les biens communaux (18), certains gagnaient quelque argent en exerçant une activité complémentaire dans l'artisanat.
Les membres de cette catégorie ne sont cependant pas de vrais pauvres. Ils habi¬tent dans des maisons et non pas dans des huttes. Dans le Condroz beaucoup d'habi¬tations sont déjà construites solidement en blocs schisteux ou gréseux. Les toits sont recouverts de chaume et leur inclinaison est très forte. (19) A côté de l'habitation les manants entretiennent un «cortil» c'est-à-dire un jardin avec des pois et des fèves (20). La pomme de terre a aussi fait partout son apparition ; on commence à la cultiver à Mozet vers 1740(21) le colza fournit l'huile pour s'éclairer l'hiver (22). Comme nous l'a¬vons dit les cens réclamés par le seigneur ne pèsent pas très lourd mais le salaire sur les fermes est dérisoire car la main-d'œuvre est trop abondante. La vie est dure mais supportable.
Les autres.
Les «pauvres manants» ne possèdent rien que leur hutte. Ils ne sont pas contri¬buables ni électeurs. Ils sont journaliers et mendient.
D'autres personnes ne vivent pas de l'agriculture comme les bûcherons et les arti¬sans bien que ceux-ci possèdent très souvent un petit lopin de terre. Les officiels sont parfois des membres de la communauté mais pas toujours (23)

3. LES BIENS COMMUNAUX.

ous avons déjà souligné l'importance des biens communaux pour les petis ma¬nants: ils représentaient pour eux la seule forme de pâturage, les prairies artificielles étant l'exception. De plus les genêts fournissaient la litière aux bestiaux.
A l'origine, ces biens faisaient vraisemblablement partie du domaine du seigneur. Les habitants de la communauté avaient le droit d'en jouir : peu à peu les «communes» devinrent la propriété collective des membres, de la même façon que la censive concédée à un tenancier était devenue sa propriété de fait (24).
Au milieu du XVIIIe siècle, on peut reconstituer la nature, l'étendue et le nom des bien communaux. On le doit à un relevé effectué le 10 juillet 1765 par l'arpenteur De Gueldre (25). Il faut savoir qu'à cette époque, le gouvernement autrichien décida de procéder dans le Namurois au partage des biens communaux non boisés (26) afin d'en favoriser le défrichement et d'améliorer ainsi le rendement de l'agriculture dans la pro¬vince.
A cette époque «ceux de la communauté de Mozet» possèdent en indivis 32 bonniers dont seulement 6 bonniers de trieux et pâturages. Le reste consiste en bois. Les biens communaux se divisaient en effet en bois et terrains non boisés: parmi ceux-ci on distinguait les pâturages au sens strict, les trieux ou terrains vagues et les chemins au sens large c'est-à-dire chemins de campagne avec fossés et bas-côtés.

Les bois.

es forêts communales étaient très importantes car non seulement elles ser¬vaient au pâturage mais elles fournissaient aux habitants le bois de raspe, pour le chauffage et le bois de haute futaie pour la construction.
Un règlement de 1571 en déterminait le mode de jouissance: chaque chef de fa¬mille avait droit à une corde de leignes par an, c'est-à-dire environ 3 m3 60 de bois à brûler. Lorsque l'un d'eux désirait construire, il soumettait son plan à l'officier qui lui dé¬signait les arbres à abattre. Les modalités de pâturage dans les bois n'étaient pas pré¬cisées: elles étaient laissées à la coutume (27). En 1739 des contestations au sujet de ce règlement s'élevèrent entre le seigneur, Richard de Hemricourt et les manants (28). Il en résulta un procès qui fit naître un climat de tension dans la seigneurie. Les habi¬tants se réunissaient fréquemment pour discuter des péripéties du procès; le seig¬neur, agacé, réinsista sur l'interdiction de réunions au sein de la communauté sans sa permission (29). Un décret du conseil de Namur du 17juin 1739 autorisaun nouveau rè¬glement qui avait surtout pour but de protéger les bois en établissant des règles le patûrage (30). Les chevaux et les poulains ne pouvaient etre conduits dans les tailles que cinq ans après qu'elles eussent été coupées ; les bêtes à cornes sept ans après et les bêtes à laine qui s'attaquent essentiellement aux jeunes pousses ne pouvaient ja¬mais être admises dans les bois. En outre, au lieu de donner chaque année une corde de bois à brûler à chacun, l'officier désignerait deux bonniers de raspe dans lesquels on ferait des portions suivant le nombre de manants. Le seigneur avait droit à une part de plus mais seulement s'il résidait dans la localité. Pour le bois de construction rien n'était changé.

Les pâturages.

Pour les pâturages il n'y a pas de règlement précis. La commune était pauvre dans ce domaine, elle ne possédait que 6 bonniers de mauvaises terresputrieux qui fournis¬saient peu de pâturages (31). Ils étaient situés notamment au « Trieu au Stampiau» (le Bâty actuel) et dans tout l'emplacement contigu, au nord du château appelé autrefois le « Warichet » (32). Ces terresf urent partagées en vingt-huit portions le 17 juillet 1776 et le 27 juillet on tira au sort pour l'attribution des parts (33). La consistance des par¬celles n'est pas indiquée mais si les 6 bonniers ont été partagés comme le prévoyait le règlement (34) chaque manant a dû recevoir environ 20 ares.

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General update: 19-01-2012 07:54
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