C.ORGANISATION JUDICIAIRE.
1.PRINCIPES GENERAUX.
a justice sous l'ancien régime est une question bien trop compliquée pour être résolue et même résumée en ces pages (1). Quelques notions sont cependant indis¬pensables pour la compréhension de l'organisation judiciaire à Mozet.
En premier lieu, toute justice émane du seigneur. Il possède le droit de rendre la justice, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant. Le seigneur ou son mandataire réunit le tribunal et le préside mais il ne prononce pas la sentence. En effet Chaque homme libre a le droit d'être jugé par ses pairs; c'est-à-dire par des individus de même condition personnelle. De même, toute opération immobilière est jugée par des possesseurs d'immeubles de même qualification juridique. Une fois la sentence rendue, le seigneur en assure l'exécution.
Ce privilège des hommes libres d'être jugés par leurs pairs va entraîner la mul¬tiplication des cours médiévales: une cour est nécessaire pour chaque catégorie de personnes ; les hommes de basse loi et les privilégiés. De même la cour ayant juridic¬tion sur les fiefs ne l'a pas sur les alleux.
Cette classification n'est pas la seule difficulté pour l'approche de l'organisation judiciaire au moyen-âge. A plusieurs reprises nous avons été amenés à faire la distinc¬tion entre seigneurie hautaine et seigneurie foncière.
Le seigneur foncier est le propriétaire du sol. Il nomme une cour de justice qui connaît des contrats de mariage et de tutelle, des émancipations, des testaments, des baux, des rentes, des procurations, des ventes, en un mot sa fonction ressemble beau¬coup à celle du notariat actuel avec en plus un droit de juridiction et de police rurale.
Le seigneur hautain quant à lui, détenait la haute justice, beaucoup plus proche de la justice dans son acception actuelle. Elle s'exerçait dans les cas punissables de châ¬timents corporels: assassinats, rapts, viols, incendies, vols. Le haut justicier faisait exécuter les sentences, aussi avait-il le droit d'ériger une potence et de construire une prison.
2.EVOLUTION A MOZET.
vant le Xllle siècle, de par sa qualité d'alleutier, le seigneur de Mozet devait posséder le droit de rendre la justice. En effet l'alleu comprenait normalement seig¬neurie et juridiction (2), du moins pour d'anciens alleux nobles comme celui de Mo¬zet.
Mais dans le courant des années 1200, le comte de Namur mit tout en œuvre pour se réapproprier la justice sur son territoire. En 1289, la justice à Mozet lui est encore contestée par le seigneur Godefroid (3). Par la suite le comte le remplaça comme seigneur hautain.
A partir du XlVe siècle, ce sont donc les représentants du comte de Namur qui possèdent la haute justice à Mozet. Pour les hommes de basse loi, la cour est présidée par un maire et composée d'échevins tous désignés par le comte. Quant aux privilé¬giés, comme le seigneur de Mozet ou le possesseur du fief du Royer, ils sont jugés par leurs pairs, sous la direction du bailli régional, celui d'Entre-Meuse-et-Arche. Pour ce bailliage, les charges de bailli et de mairie furent confiées au même titulaire à latin du XlVe siècle puis la seconde tomba en désuétude (4).
Par contre, les Mozet continuent à posséder la justice foncière, au sens défini ci-dessus. Pendant longtemps, le seigneur va siéger en personne. La cour est identifiée par le nom du propriétaire ou du lieu. En 1529, à Mozet elle est dénommée «cours des masuirs et tenants de Antoine de Mozet» (5). Les masuirs et les tenants sont les habitants du domaine seigneurial, les tenanciers des terres concédées a perpétuité par le seigneur moyennant une redevance, le cens.
Au cours du XVIe siècle, les masuirs se transforment en échevinssouvent au nom¬bre de sept et un maïeur remplace définitivement le seigneur. En 1589, la vente d'une maison se fait «sous la présidence de Pierre Anciau, mayeur de la courfoncière de Mo¬zet et des échevins...» (6). Le contenu des actes conservés correspond à la définition donnée de la justice foncière: chaque fois la cour enregistre un acte de vente; en 1529 d'un «cortil» ou jardin, en 1534 d'une rente en épeautre et en 1589 d'une maison avec jardin.
Au XVIIe siècle, dans les circonstances expliquées, (7), le seigneur de Mozet va en quelque sorte racheter le droit de haute justice. Le seigneur choisit lemai'euret les
échevins. Le candidat est définitivement admis après avoir prêté le serment prévu par la coutume, serment par lequel il certifie ne pas avçir donné d'argent pour obtenir la charge (8). Il nomme également un greffier, chargé de la rédaction des actes et un sergent qui veille à l'application des lois.
Les échevins ne sont pas des juges professionnels mais des membres de la com¬munauté, souvent même de petits manants. C'est aussi dans ce milieu que l'on recrute le sergent. Lorsqu'un délit grave doit être iugé, un échevin extraordinaire est nommé (9). Le maïeur est souvent un membre influent comme Démarche, propriétaire du Royer en 1672 ou Damoiseau, censier du château en 1733 (10). Il est fréquemment maïeur dans plusieurs endroits : en 1767 Bertrand est maïeur de Mozet, Goyet et de Jausse-Les-Ferrons. Les greffiers doivent être cultivés; souvent ce sont des notaires. De Barsy, greffier de la cour de Mozet en 1773, est très riche et correspond de façon familière avec le grand maïeur de Namur (11).
3. ACTIVITE DE LA COUR « HAUTE ET FONCIERE DE MOZET».
partir du XVIIe siècle, l'organisation et la conservation des archives par le gref¬fier s'améliorent et permettent une analyse de l'activité des cours échevinales. Pour Mozet, les documents sont conservés de façon régulière à partir de 1672 mais les sé¬ries sont incomplètes à cause de la destruction de quantité d'archives pendant la révo¬lution brabançonne (12).
En théorie, la cour foncière et la cour hautaine sont distinctes mais en fait, les mê¬mes personnes composaient l'une et l'autres et, selon la matière à traiter se consti¬tuaient en cour haute et basse.
Les affaires civiles forment la majorité du fonds d'archives de l'échevinage de Mo¬zet. Celui-ci nous livre l'enregistrement de toutes les transactions opérées au seinde la communauté: ventes, baux, aliénation, hypothèques, saisies, passées. Une liasse est réservée aux contrats de mariage, testaments et partages (13).
Parmi les délits jugés, les plus nombreux sont les délits forestiers; le sergent sur¬prend fréquemment des manants en train de couper des arbustes, de se promener dans les bois avec des chiens, de faire paître le bétail dans des endroits interdits. Ces atteintes aux bien communaux, propriété de tous les habitants, ou aux droits du seig¬neur étaient jugées à l'occasion des plaids généraux, réunions de tous les chefs de mé¬nage sous la présidence du maïeur, représentant du seigneur (14). Le sergent y faisait ses rapports et fixait les amendes. Ces amendes étaient notées dans un cahier: l'ins¬cription tenait lieu de sommation.
Des cas un peu plus graves pouvaient être réglés à l'amiable par une procédure de conciliation qui évitait les frais d'un procès. En 1750 J.H. avait molesté quelque peu P.E. L'accusé offrit de payer une amende de 32 sols, la victime accepta et l'affaire en resta là (15). Le 16 novembre 1762, LL. se permit d'aller insulter H.P. à son domicile. L'accusé appelé à comparaître devant les échevins reconnut sa faute et afin d'éviter une condamnation, offrit de payer trois livres de cire blanche, l'une à l'église de Mozet, la deuxième à l'image de la Sainte Vierge et la troisième au patron St Lambert. Il pria la cour de vouloir bien lui pardonner pour le scandale qu'il pût avoir donné en la paroisse. La cour jugea ses propositions acceptables mais exigea qu'il demandât pardon à Dieu, à la Sainte Vierge Marie et fit ses excuses à la victime (16).
Lorsqu'un accord à l'amiable n'était pas possible, la cour menait l'enquête et ju¬geait. Les moeurs rudes des habitants provoquaient souvent des bagarres. Les juge¬ments de la cour nous mettent en présence de personnages comme ce domestique qui avait blessé trois soldats à coups de pieux ou de ce fils qui, après s'être disputé à plusieurs reprises avec son père, finit par le frapper tellement que le veillard dut garder le lit pendant huit jours (17).
Les affaires criminelles ne peuvent être jugées par les échevins du village: on a re¬cours à un homme de loi. Ainsi, en 1780, un habitant de Mozet se rendit coupable du meurtre d'un enfant dans les circonstances suivantes. J.D. était dans le Bois-Wiame en train de ramasser du bois en compagnie de trois enfants. J.H., âgé de dix ans avait lié sa charge quand J.D. voulut enlever le lien de la charge de l'enfant pour s'en servir. Le petit frappa J.D. à l'épaule avec le lien. Dans un accès de colère J.D. lui enfonça un cou¬teau dans le ventre. L'enfant mourut le surlendemain. Les documents ne nous fournis¬sent pas l'arrêt rendu par la justice mais permettent de se rendre compte de la manière dont l'affaire fut traitée. La douairière de Ghisels, dame de Mozet, nomma un échevin extraordinaire en la personne de P. Mahy, licencié en droit et avocat au conseil de Namur(18).
A la fin de l'ancien régime, les parties pouvaient se pourvoir en appel devant le conseil provincial de Namur. Les enquêtes menées par ce conseil nous livrent une his¬toire assez pittoresque. En 1672, deux journaliers de Mozet, Jean Demptines et Pierre Joris, qui travaillaient à la ferme de Basseilles, après avoir bu quelques verres, conclurent, un pari selon lequel celui qui épouserait ia dame de chambre de la dame d'Arville devrait à l'autre une somme fixée. Les deux compères signèrent l'accord. Jean Dem¬ptines ayant effectivement épousé la belle convoitée réclama en vain son dû. La sen¬tence de la cour de Mozet ne l'ayant pas satisfait, il en appela au conseil provincial..( 19)