INTRODUCTION
Grandpré, grande pratum, Grandpreit...
Prise, par les défrichements, sur l'immense forêt d'Arche, une grande prairie qui, pendant six siècles, fut un haut-lieu de chrétienté...
Ce grand pré, qui connut des moines, arrivés de Villers-en-Brabant poursuivre le travail puissant des bâtisseurs de cathédrales, d'abbayes pendant le Moyen-Age...
Grandpré, qui vit sur son gazon léger, vert émeraude, s'élever, telle une pierre précieuse, un joyau de belle eau, la nouvelle abbaye qu'à voulue Philippe, Comte de Namur.
Sur Grandpré et les environs s'égrenèrent les sons des cloches de lise du monastère, à la gloire de Notre-Dame.
Les religieux, nouveaux venus, avaient de qui tenir : Saint-Bernard moine de Citeaux, abbé de Clairvaux, celui que l'Eglise appelle « Doctot Mellifluus », parce que, avec une suavité toute de douceur, d'onction d'amour, il a chanté pour lui, pour ses disciples, pour le inonde, les plm charmants hymnes à la Mère de Dieu et des hommes...
Citeaux, Clairvaux, Villers, trilogie bénie que rejoint désarmait Notre-Dame de Grandpré...
L'abbaye de Grandpré n'eut pas la splendeur de l'abbaye-mère dt Villers. Elle n'eut pas le rayonnement artistique, littéraire et culture, d'autres monastères comme Waulsort. Elle ne fut pas un centre intenst où se formèrent des élites. La fonction essentielle des religieux de Grand-pré fut de vivre la vie monacale exemplaire, fervente, à peine traversât par l'une ou l'autre épreuve, à l'occasion de la nomination d'un abbé.
Leur présence exerça une action féconde sur les populations; du point , de vue économique, ils œuvrèrent pour maintenir et développer leui patrimoine, afin d'assurer à la communauté les moyens de subsistanct nécessaires, de satisfaire aux impositions, très lourdes parfois, des Princes d'exercer la plus grande charité à l'égard des manants qu'ils avaien, pris en charge, des humbles, des pauvres et des pèlerins qui souvent heurtaient la porte du couvent. Vraiment, ils ont passé, dans le Namurois, en faisant le bien.
La Révolution est venue là-aussi ; elle a saccagé, détruit; les moines ont été dispersés; on n'entend plus le tintement de la petite cloche, sonnant l' « Angélus », ou marquant, à certaines heures, les exercices de la communauté; seul est demeuré le murmure des eaux du ruisseau de l'abbaye, qui, comme une gamme de fond, se mêlait si harmonieusement au son de la cloche; l'eau continue d'arroser les bois, les huiliers, les broussailles, qui ont repris, dé-ci, dé-là, une part de leur domaine d'antan.
Subsiste encore le souvenir de la sainteté, de la bonté des moines. On raconte ce qu'ils firent; la légende a auréolé leur histoire; ici, vous dira un vieux, a été planté, il y a bien longtemps, ce chêne, par le frère Philippe, un saint; aussi lui a-t-on donné le nom de « Ichinne fré Flup... ».
L'abbé Pirot, qui a entendu parler d'eux, peuple, lui aussi, ses loisirs des souvenances d'autrefois. En son très beau recueil de contes, il évoque la mémoire, restée en bénédiction, des religieux :
« Li Père Firmin, vos n'iavos jamais vèyu ? — Non ni li, ni l'zûtes. -» Ils ont tortos disparu. Ce que dj'voreu, clivant n'moru, c'est d'vèuye » l'Abie rèssucitée... li bêle, li sainte, la bone Abie, comme elle estent!... i) Les mwanes n'ont jamais ri-vnu... Mins les bonès djins de Condroz » n'èlz ont non rovi; et tôt l'payis, les bivès, li ri, les ratint co. » (1)
Il reste plusieurs ailes de bâtiments transformées en un corps de ferme. Deux entrées en permettent l'accès : L'une monumentale, avec un remarquable portail Louis XIV : appareil d'architecture plaisant, fait de deux colonnes en pierre, qui supportent un cintre formé de panneaux, aussi de pierre; le portique est surmonté d'une flèche caractéristique, à couronnement bulbeux; entre le toit et le cintre, une niche Renaissance, avec la statue de Notre-Dame de Grandpré, un blason, meublé d'un frêne, celui, de l'abbé Defrenne, qui gouverna l'abbaye de 1761 à 1774; sa devise : " Delectamur in umbra " (2) et une date : 1772; c'était l'entrée de l'abbaye proprement dite. L'église abbatiale était bâtie où se trouvent des débris de colonnes, encore en place sur la prairie. Ces débris comprennent, assemblés, un support octogonal, une base de colonne à profils du XIIIe et du XIVe siècles, trois tambours et un chapiteau mosan. décoré de feuillages d'eau; l'autre entrée donne sur une cour très vaste, entourée de communs, d'écuries, d'étable.s, etc., dont la majeure partie a été reconstruite fin du XVIII ou début du XIXe siècle.
A gauche de ce bloc, l'ancien moulin et le stordoir, où l'on broyait les faines et d'autres fruits des bois, pour obtenir de l'huile; l'entrée en cintre du moulin porte dans la clé de voûte le millésime de 1685. .
A droite du portail, se trouve ce qui fut la salinerie ou raffinerie de sel, avec les deux meules. La tradition veut que le dortoir et le cimetière étaient contigus à l'église.
Enfin, un tilleul séculaire, planté par les moines, au coin du couvent, en direction de Faulx, au carrefour des routes Lustin-Andenne et Samson-Gesves.
Le cartulaire de Grandpré et quelques liasses parmi les premières que nous avons dépouillées, contiennent des documents relatifs à la fondation et aux premières donations et acquisitions, réalisées par le monastère ; les autres archives des fonds de l'Etat, à Bruxelles et à Namur, nous font connaître l'importance de ses revenus en cens et en rentes, avec leurs nombreuses tractations, dans ses propriétés du Sud et du Nord de la Meuse namuroise, et les charges qui pesaient sur lui.
Nous ferons grâce au lecteur de trop d'informations financières, de trop de chiffres, qui risqueraient d'être fastidieux, et qui ne peuvent d'ailleurs qu'intéresser faiblement les économistes; nous nous référons, pour ce chapitre,, surtout à la description de 1787, y ajoutant quelques détails au sujet des lieux-dits, des noms de personnes, à l'intention des toponymistes et des généalogistes.
Des cartes, montrant les propriétés de l'abbaye, seront plus suggestives que des aperçus nombreux sur les comptes du monastère.
Certains auteurs ont traité de l'Abbaye de Grandpré occasionnellement ; citons en ordre principal, Dom Berlière et Caillot, qui ont donné une liste des abbés; puis, Dom Canivez, le Père de Moreau, L. Jenicot, Brouwers, et quelques articles parus dans les A. S. A. N., Il, XXII, XXXVII, XL, etc. (3)
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Nous tenons à souligner la collaboration précieuse de Monsieur Ben jamin Carpentier, originaire de Faulx-les-Tombes ; grâce à l'amour dt son terroir, à ses recherches consciencieuses, à sa remarquable et dili gente curiosité intellectuelle, M. Carpentier nous a aidé singulièremen, dans notre documentation ; nous lui témoignons ici l'expression de notn vive gratitude et de notre admiration.
Nous sommes aussi reconnaissant à Monsieur Ernest Roumont, photographe à Andenne, au talent de qui nous devons les nombreuses illustrations du présent volume, et à Monsieur Gilbert Thiry, dessinateur-dirigeant du cadastre, à Mozet, qui, selon nos données, a dressé, avec un soin minutieux, les cartes qui faciliteront la lecture et la compréhension du texte parfois ardu.
Au cours de notre ouvrage, nous rappellerons l'origine de l'abbaye de Grandpré et la description qu'en ont faite des témoins oculaires, nous étudierons les deux grands aspects que présente l'histoire du monastère : la vie religieuse à Grandpré et son organisation interne, le domaine et les finances; nous consacrerons un chapitre à la toponymie et nous donnerons en annexe une notice sur la paroisse des Tombes (Faulx) et sur l'ancienne paroisse de Maizeroule : proches de l'Abbaye, elles subirent davantage l'influence du monastère au spirituel et au matériel.
(1) Pirot (abbé) Jules-Joseph, Contes dau Ion et did' près : pp. 159 et 160. — L'abbé Pirot, originaire de Gesves, est prêtre-missionnaire dans le Nord-Ouest canadien.
(2) Un sceau en cire rouge de l'abbé Defrenne (de Fresne), apposé sur ur document de 1762, porte la devise : « Condelectatur in umbra ».
(3) Dom Canivez, L'Ordre de Citeaux en Belgique, 1926. Dom Berlière, Monasticon Belge, 1890.
Gaillot, Histoire Générale, Ecclésiastique et Civile de la ville et de la province de Namur, 1789.
E. de Moreau, Histoire de l'église en Belgique, 1940. L. Jenicot, L'Economie Rurale Namuroise au bas moyen-âge, 1943. Brouwers, Cens et Rentes .— Les Terriers — Les aides et les subsides. M. le chanoine Barbier, auteur de monographies de plusieurs abbayes, aurait rédigé l'histoire du monastère de Grandpré; malheureusement, le manuscrit aurait disparu à la mort du savant écrivain.
SIGLES
A. E. B. Archives de l'Etal à Bruxelles.
C. G. P. Cartulaire de Grandpré.
A. E. N. Archives de l'Etat à Namur.
C. R. B. Cens et rentes, par D. Brouwers.
A. H. E. B. Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de la Belgique.
H. G. Barbier, Histoire du monastère de Géronsart.
A. S. A. N. Annales de la Société archéologique de Namur.