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 ImageLe baillage de Samson ou d'Entre-Meuse-et-Archeau XVII ème siècle

COMTE DE NAMUR III
MAIRIE DU FEIX, BAILLIAGE DE SAMSON, PRÉVÔTÉ DE POILVACHE
PAR
Philippe JACQUET, Françoise JACQUET-LADRIER

  


Bordé à l'ouest par la mairie de Namur, le bailliage d'Entre-Meuse-et-Arche s étire le long de la rive droite du fleuve, sur les vingt kilomètres qui séparent Moisnil, à Maizeret, et Ahin, aux portes de Huy. Sur la rive gauche, il ne comprend que Sclaigneaux, à Vezin. Ses limites méridionales avec la prévôté de Poilvache sont constituées par une autre barrière naturelle, l'antique forêt d'Arche, ou plutôt ce qu'il en reste au début du XVIIe siècle, déjà; de nos jours, le toponyme subsiste encore à Sart-Bernard et Maillen (bois et fonds d'Arche), à Haltinne (Haute et Basse Arche) et à Coutisse (bois des Arches). C'est en référence à ce massif forestier que s'était décidé au traité de Dinant en 1199, le partage de la rive droite de la Meuse namuroise entre Ermesinde, fille d'Henri l'Aveugle, et son mari, Thibaut de Bar, d'une part, et Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut, et son frère Philippe le Noble, marquis de Namur, de l'autre. L'accord, confirmé en 1223 par le second époux d'Ermesinde, Waleran de Limbourg, laissait à ceux-ci le territoire situé entre l'Ardenne et la forêt d'Arche, qui constituera plus tard la prévôté de Poilvache. À Philippe le Noble échéait la forêt d'Arche qui s'étend «a Mosa ad Mosam in longum et latum», en long et en large, sur la rive droite de la Meuse, en amont et en aval de Namur24. C'est l'origine du bailliage «d'Entre-Meuse-et-Arche», appelé aussi de Samson, du nom du château comtal qui s'y trouvait et dont le châtelain exerçait en même temps la fonction de bailli.
Comme le bailliage de Wasseiges et la mairie du Feix, cette circonscription administrative et judiciaire du comté couvre un territoire relativement compact, dans la vallée mosane et en bordure des premiers contreforts du Condroz.


Un territoire dont les limites ne sont ni indiscutées ni indiscutables. On n'en veut pour preuve que l'enquête menée en 1571 par Michel de Warisoul, bailli et capitaine de Samson, pour déterminer si le Vivier l'Agneau, le Trieu d'Avillon et leurs dépendances font partie de Sart-Bernard et, par conséquent, du bailliage d'Entre-Meuse-et-Arche. L'intérêt des dépositions des quinze témoins interrogés - âge moyen : 55 ans - réside dans le fait qu'apparaît de la sorte ce qui, aux yeux de la population concernée, détermine l'appartenance à tel bailliage plutôt qu'à tel autre : l'endroit où se tiennent les plaids et l'obligation d'y assister; la comparution devant le bailli ou son lieutenant «pour quelques amendes de sang ou aultres»; le service de «guet et garde» au château de Samson, à la «semonce» du bailli, «comme faisoient ceulx dudit Jaulce [Jausse] et aultres dudit bailliage» notamment en 1567, «à la passée du prince d'Orange, envers le mois d'octobre»; de même que le choix des «gensdarmes» et l'élection des pionniers par les officiers du bailliage «quand besoing en estoit»; enfin, le payement des aides et des tailles. Ce dernier point pouvait susciter jalousies et disputes entre villageois propriétaires dans deux circonscriptions différentes. Il est d'usage, dans ce cas, de ne payer la taille qu'au lieu de sa résidence. Ce que ne fait pas, en 1604, Jean de la Hault, qui tient taverne au Vivier l'Agneau. Parce qu'il s'acquitte de son obligation à Poilvache et s'en estime donc dégagé pour ses quelques prairies et pachis au Bailliage de Samson, les manants de Sart-Bernard s'emparent de ses six bêtes à cornes qu'ils conduisent «à la Violette», à Jambes. Ils seront tous arrêtés et emprisonnés par ordre du gouverneur pour avoir refusé de relâcher le bétail. En représailles, ils menacent néanmoins le tavernier de désigner sa maison aux «vrijbutters» afin qu'ils la brûlent s'ils venaient à passer par là.Des contestations surgissaient également à l'intérieur du bailliage où le puissant chapitre d'Andenne, le maï'eur de Beaufort et celui du ban de Sclayn se heurtent souvent, au tournant des XVIe et XVIIe siècles, aux exigences du bailli de Samson, notamment en matière de logements militaires. Mais la relative pauvreté des sources et les obscurités qu'elles charrient nous empêchent de démêler la hiérarchie des pouvoirs, les rapports de forces, subtils et changeants, qui s'établissent entre les personnes par le biais des institutions. Warnier du Cerf, seigneur de Fumai, est bailli et châtelain de Samson depuis décembre 1603. La fonction de greffier est occupée par Godefroid Ramez, propriétaire de la «brassine» de Vaux-sous-Samson et du moulin de Villeval26. Dans le bailliage, une seule seigneurie hautaine, en même temps pairie: celle de Faulx que tient, depuis 1580, Jean de Berlo, futur bailli de Condroz; les archiducs l'autoriseront, en 1608, à réunir la seconde à la première moyennant payement d'un double droit de relief27. Sur les rives du Hoyoul ou ruisseau de Samson, où sont concentrées forges et «usines», les «ferons» échappent toutefois à la justice hautaine du bailli qui l'exerce au nom du souverain : ils relèvent, «sauf pour les cas graves», de la «Cour des ferons» qui fut créée par privilège comtal en 1345 mais dont les archives n'ont pas été conservées. Outre le chapitre des chanoinesses d'Andenne, deux abbayes cisterciennes : d'hommes à Grandpré, de femmes à Solières.*** importances des possesssionsPlus que dans les bailliages précédents, et indépendamment des réserves déjà faites à propos de la valeur des données fournies par le Terrier, il est malaisé d'avoir des indications précises sur l'importance respective des terres, des prés et des bois, parfois comptabilisés «en tout», ou en «charues» de 9, 10, 16 ou 18 bonniers au lieu de 30 28. On peut cependant avancer que les fermes comptent en moyenne une quarantaine de bonniers de terres labourables (environ 38 ha), comme ailleurs, sauf dans le Feix où elles atteignent la cinquantaine. Onze «censés» nettement plus importantes - jusqu'à quelque 85 ha - se situent toutes dans la partie occidentale du bailliage : celles du Domaine au Vivier L'Agneau, des Maillen à Sart-Bernard, Mont et Arville, de Jean de Jauche à Mozet, de Gilles Burlen à Tropnogrive (Sclayn), de Jeanne de Crehen et Lancelot d'Yves à Bonneville, de Philippe Tamison à Strud et de Jean de Berlo à Faulx; auxquelles il faut ajouter la «censé» d'Evrard de Brion à Ahin. Les propriétés ecclésiastiques, moins nombreuses et d'étendue plus modeste, sont disséminées dans le ban d'Andenne et la terre de Beaufort. Dans chaque exploitation, on note aussi quelques bonniers de jardins et de prairies, dont la superficie correspond généralement au dixième des terres labourables.

Que valent et que produisent ces terres ? Une parcelle n'est pas l'autre et nos sources ne livrent pas d'informations chiffrées suffisamment représentatives, mais le Terrier localise de «mauvais terroirs», de «mauvais labeurs», des «terres stériles» principalement dans le ban d'Andenne, des endroits marécageux aux Tombes, dans la vallée du Samson; il y en a aussi à Strud où coule son affluent le Struviaux. À Maizeret, les terres sont «maigres et coulantes, en montagnes et vallées», le pays «arsillasse»29. On y récolte de l'avoine, et à Ahin de l'epeautre et du houblon, comme à Ben et à Solières. Du raisin aussi. y a quelques centiares de vignes «gisant auprès de leglise» d'Ahin, tandis qu'à Beaufort, débiteur d'une rente en vin offre de la payer en argent «à la bonne foi», en raison de la "stérilité de la vendange».L'absence de baux de «censés» nous a empêchés d'évoquer les pratiques culturales qui seraient propres à la région. On a toutefois conservé le contrat de location, très court,d'une «maison de nourriture», c'est-à-dire d'un élevage, celui de «Boisgelot» (Bois Gillot ou Bois Gillet), que le Terrier répertorie à Mont (Arville), «réputé de toute ancieneté pour 1/2 charue [ça 42 ha], pays stéril mais pour nourrison commode». En 1609, Thiery Salmon,maïeur de Crupet, loue donc à Philippe Durieu, «résidant au lieu du Boigelot, tenant la posterie dillecq pour le service des Altezes [...] la maison, censé, jardins, prairies, pasturaiges, bois, hayes et terres labourables dudit Boisgelot emprès le Vivier l'Agneau» pour neuf ans, moyennant 120 florins de Brabant par an, quittes et libres d'impositions. Le payement s'effectuera «comme tous aultres circonvoisins» entre la Saint-Gilles (1er septembre) et la chandeleur (2 février). Le locataire disposera du «bois appelle le forrest» uniquement pour le pâturage de ses bêtes, le propriétaire s'en réservant les coupes. Il entretiendra à ses frais le «placcaige et couverture» des bâtiments et offrira annuellement au maître «ung bancquet honneste de récréation pour luy et ceulx de sa compaignie». Le Terrier recense trois autres élevages nettement moins importants près d'Andenne : à Bohissau, Clair Chêne et "Troullevaulx» (respectivement ça 11, 7,5 et 4 ha).À bien regarder à la file les vingt et une gouaches du bailliage de Samson, l'impression générale prévaut qu'il y a davantage de prairies et de bois que de terres de culture, prises isolément, les vues prêtent à discussion. Dans leur ensemble, et bien qu'il n'y ait de troupeau représenté nulle part, elles reflètent ce qui a pu, même inconsciemment, frapper l'œil des peintres, village après village : un sol pauvre, voué à l'élevage à défaut de l'être à l'agriculture.


Les espaces pâturables sont toujours âprement disputés, convoités. Comme d'autres, les manants de Faulx prétendent avoir droit de pâture sur les prairies à partir de la Saint-Jean. L'année ayant été fort pluvieuse, Philippe Tamison, propriétaire à Jausse-les-Férons, avait demandé par huissier au seigneur un délai de quinze jours pour faire enlever son foin, mais les villageois, disant «qu'ils n'avaient que faire de l'huissier et de son papier», passèrent aux actes «la nuict St Jean de l'an 1584 après dîner» : armés de demi-piques et de fourches, ils passèrent et gardèrent en armes toutes les bêtes du village, «bien en nombre de cent», sur les quatre à six bonniers de prés de la «censé», après en avoir rompu les enclos. S'il arrive que des parcelles de terre soient laissées en trieu «pour la commodité du pâturage», ce sont surtout les bois qui en font les frais. Et des bois, il y en a d'importants un peu partout dans le bailliage. Les plus vastes se trouvent à Goyet (200 bonniers, environ 190 ha), à Arville (100 bonniers) et à Faulx, appartenant respectivement à Lancelot d'Yves, à Jean-de Maillenn et à Jean de Bero ; à Andenne, aux dames du chapitre et à Gives (130 bonniers), à celui de Saint-Paul de Liège; enfin, à Saint-Léonard (Ahin), les 150 bonniers bois«de Housseau» ou bois Mélart, du nom d'un de ses propriétaires cité dans le Terrier. Quant aux bois communaux, ce ne sont souvent que haies, «boscailles», «respailles monta-la centaine de bonniers qui essayent de croître dans la terre de Beaufort.Tant privés que communaux, ces bois sont à défendre dans l'intérêt de chacun. Même les riches ont à tenir compte les uns des autres. Lorsque Jean-Philippe de Maillen, seigneur , veut agrandir son château et fait couper de beaux chênes dans ses bois - il y en avait plus de quatre cents de grosseur «compétente», - il provoque de la part de l'abbé de Grandpré, de Berlo de Brus, des mambours de l'église Notre-Dame à Mont et de son parent Maillien (de Wierde), un concert de protestations qui ne s'apaisera que par quelques cadeaux en vins, pains d'épices et... en chênes. Les bois débités sont encore mesurés avec une «corde» ou une «iarretier de sayette et de laine», remplacées ça et là, et notamment à Arville, par des tiges de fer étalonnées. Des règlements, comme ceux qui furent approuvés par les communautés de Sart-Bernard et de Mozet en 1571, contingentent strictement les cordes de «feignes» et le bois auquel chaque manant peut prétendre pour se chauffer, pour «musonner», pour«renclore».A Sart-Bernard, les commis préposés au martelage devront choisir «des vieulx et caducqs chesnes ou faulx qui ne seront poinct au meilleur proffict deladite communaulté»; le bois de construction ne sera attribué aux manants qu'après que l'on ait «visenté l'édiffice qu'ils entendront faire, soit maison, estable ou aultre quelconque»; «espines et huiseaulx pour renclore [se prendront] sans couper nephlier, pommiers, seriou aultre bois», sous peine d'amende. Un manant n'aura pas le droit de «mectre pourchaulx sur la paischon» commune s'il n'habite le village depuis un an, et les veuves, qui ne paient qu'une demi-taille, n'auront droit... qu'à un demi-porc. De leur côté, les chanoinesses d'Andenne, en procès contre les habitants du lieu, obtiendront du Conseil de Namur, en 1609, de pouvoir fixer avec eux le nombre de porcs que chacune des parties enverra dans les bois du chapitre. Les manants sont désavantagés par rapport aux «plus puissants» qui nourrissent vingt à quarante bêtes «non pour consumer en leurs mesnaiges, mais pour en faire vente à leur proffict» et endommager le terrain au point «qu'il n'y reste glands pour germer par l'affluence desdits porcques».


Grandes consommatrices de bois aussi, les industries extractives et métallurgiques qui se développent à proximité des cours d'eau. Sans savoir à quel usage le marchand et maître de forges namurois Jean Muller destinait des chênes qu'il achète en 1598, on constate qu'ils valaient de 28 sous à 4 florins pièce; seize ans plus tard, il acquiert de Gérard de Thon 8 bonniers et demi de bois à 50 florins le bonnier.Ce n'est pas un hasard si Adrien de Montigny a représenté fourneaux et forges en activité à Jausse-les-Férons, à Samson, à Haltinne et à Beaufort. Comme en Entre-Sambre-et-Meuse, le minerai de fer abonde, en effet, dans le sillon mosan, en aval de Marche-les-Dames ainsi que dans l'ouest et l'est du bailliage. Depuis le XIVe siècle, des «usines» se sont établies le long des affluents de la Meuse, qui sont à la fois proches des lieux d'extraction, capables de fournir l'énergie hydraulique indispensable et peu éloignés, enfin, du fleuve qui facilite l'écoulement des produits finis : le ruisseau de Hoyoul ou Samson, le rieu Dotte, qui marque la limite entre le ban d'Andenne et la terre de Beaufort, le ruisseau de Solières, appelle aussi de Beaufort ou de Lovegnée. S'y ajoute, sur la rive gauche de la Meuse, celui de Sclaigneaux, en face de Sclayn. A. Gillard a pu établir qu'à la fin du XVIe siècle, il n'y a pas moins de douze usines dans le bassin du Samson - deux à Jausse, trois à Goyet et à Villeval, deux à Thon et à Samson - trois fourneaux en activité sur le ruisseau de Beaufort, à Lovegnée, et ceux de Rieudotte et de Sclaigneaux 40. «Allenthour du rieu de Hoyoul se trouvent plus de forges que charues» dit-on en 1606. Pour la perception des aides et des tailles, ces forges sont imposées «à l'advenant d'une charue» de terres labourables, mais près de Samson, l'une d'elles se loue «250 florins environ», tandis qu'une «charue charges déduictes» ne rapporte à son censier que 50 à 60 florins par an. À la même époque, Thierry de Robionoy donne le fourneau de Rieudotte en location à Jean Muller pour 1.550 florins à payer sur six ans .Cette industrie du fer, comme celle du plomb dans la partie orientale du bailliage, nécessite déjà des capitaux que ne peuvent fournir que de gros marchands namurois, dinantais et hutois, des armuriers et des munitionnaires, propriétaires fonciers de surcroît et détenteurs de fonctions publiques dans la région : les Tamison, les Moreau, les Gérard, les Jamotte, Jean de Ville, Jean Mullener ou Muller, surtout, et d'autres, suffisamment enrichis pour se porter acquéreurs, dans les premières décennies du XVIIe siècle, de nombreuses seigneuries hautaines ou foncières engagées par le souverain. Des veines de plomb, Henri Jamotte, maïeur de Beaufort, en a découvertes sur place et Jean de Ville, à «Cocufalize», où 40 à 50 milliers tirés par des ouvriers travaillant à la journée valent 400 florins42. Peu de carrières sont signalées dans le bailliage : à Haltinne (la «fallize le conte») et à Thon. Quelques modestes puits de charbon à Bonneville 43. Les moulins sont plus nombreux : quatre sur le Samson, dont deux appartenant au Domaine, de même que celui de Lovegnée à Ben; cinq sur le ruisseau d'Andenelle, tous aux mains de propriétaires privés, d'après le Terrier (Gobert Moulin, Neuf Moulin, Kevret, Jodion et Treton). L'arrentement d'une «brassine» à Ahin, «usine usinante avecq les ustensiles pour brasser», permet d'estimer à quelque 3.300 litres la contenance totale des «aymes, thonnes» et tonneaux y mentionnés.


Impossible d'avancer des chiffres de population précis pour chaque village, et même pas pour Andenne, qui n'est encore que le plus important de tous. En plus des «censiers» et des petits propriétaires, le Terrier ne signale généralement pas plus d'une vingtaine de manants, manouvriers et veuves, entièrement ou partiellement cotisables. Ainsi, aux Comognes de Strud y avait-il, en 1602, 19 manants, 3 veuves et 2 maisons abandonnées, ce qui correspond aux «16 à 20 maisons et quelques neuves» qu'on y indique quinze ans plus tôt.À Andenne «sont trouvés 50 mannans de diverses qualités [...], 8 vetves L--J ayans aulcuns quelque peu d'héritaiges derier leurs maisons, et aussi bonne partie d'eulx faisant quelque mestier et petit trafficq de manufacture». Dans le ban d'Andenne, qui consiste en «cinq à six petits hameaux» s'étendant sur «environ trois quartz de lieuwes», il peut y avoir «cent maisons présentement et auparavant quelque peu dadvantage» et, d'après un autre témoignage, «huit vingt têtes» (soit 160)46.Si l'on considère que la répartition des taxes extraordinaires - en 1593, celles destinées à l'entretien d'une compagnie du prince de Chimay précisément - est fonction aussi du nombre d'habitants, on constate que le ban d'Andenne paie 90 livres, la terre de Beau-fort 66, le ban de Sclayn 55, Sart-Bernard 22 livres seulement, tandis que Maizeret, Vaux et Moisnil ensemble ne paient, comme Jausse-les-Férons, que 20 livres, Mozet, Bois Gillet et Arville 17 en tout, Haltinne 13, Faulx 9 et ... Bousalle 3 livres et demi.Outre l'agriculture et la métallurgie, ce sont bien évidemment les activités liées traditionnellement à la forêt et au fleuve qui font vivre cette population géographiquement clairsemée. Bûcherons, charpentiers et menuisiers travaillent dans le ban d'Andenne, soumis à la réglementation stricte que leur ont imposée les chanoinesses depuis 1570. On pêche les truites «belles et bonnes» dans le «rieu de Struveau prendant à Goyet, en montant oultre Stru et Haltines jusques es bois darsche le Comté» affermé par le Domaine. Et en Meuse «avec nacelles, harnats, haveroulles et autres moindres instruments», moyennant redevance au roi, notamment devant Gives et Ben, où se trouve «une grosse pêcherie [...] depuis l'estache à Gives jusques à Beaufort, avec une venne». En temps de crue, il arrive que la nef marchande de Namur à Huy et les deux «pascheppes» qu'elle remorque en convoi, aillent la rompre, à la suite d'une mauvaise manœuvre. Panique parmi la centaine de passagers ! Certains se jettent à l'eau et nagent vers l'une des cinq îles proches où une «nacelle de villaige» viendra les délivrer. La nef dégagée, des voyageurs préfèrent continuer à pied «par le grand pays», mais d'autres, «craignant les mauvais chemins», remontent sur le bateau. Sans doute dans le but de faciliter la navigation, Nicolas de Noadré, le maïeur de Beaufort, et son fils Jacques ont, à la fin du siècle, réuni deux de ces îles au moyen de fascines et de nasses bourrées de pierres et fait construire une batte pour les «contregarder tant des glaces que des eaues». Des «cahottes» namuroises halées par des chevaux assurent le trafic des passagers entre Namur et Huy, concurrençant ainsi la nef marchande. Le tarif, dûment affiché, est d'un demi-florin par personne, mais les Liégeois, pour 5 sous de plus, font le trajet de jour comme de nuit, sans faire escale à Huy où l'on change normalement d'embarcation49. Le droit du soixantième (de la valeur des marchandises transportées ou achetées) se perçoit, en la terre de Beaufort, sur les bois mairins, les fagots de «leignes» et les charbons exportés de Namur vers Liège.Pas de pont sur la Meuse avant Huy. Des passages d'eau existent entre autres à Sclayn, à Andenelle et à Ahin. En 1604 ou peu avant, des troupes régulières devant franchir le fleuve à Andenne, le Magistrat de Namur a réquisitionné à cet effet le bac que les cisterciennes de Salzinnes utilisaient pour traverser la Sambre devant l'abbaye et qui leur avait coûté 350 florins. L'embarcation est pourrie, alors qu'elle «auroit pu servir vingt ans», mais sera remise en état.


Au risque de nous répéter, il faut dire qu'ici, comme ailleurs dans le comté, les événements militaires consécutifs à la prise de Namur par don Juan, en 1577, ont lourdement et longuement pesé sur les habitants du bailliage. Les troupes des États, cantonnées à Temploux, occupent Seilles pendant l'hiver, depuis la Saint-Martin (11 novembre) jusqu'à la Chandeleur (2 février). N'ayant pu s'emparer de Samson, défendu par Michel de Wari-soul, bailli et capitaine du château, et le seigneur de Floyon, elles ont pris position et se retranchent sur un îlot au milieu du fleuve, à un trait d'arquebuse, pour ainsi dire, des Espagnols qui sont sur la rive droite. Ce qui ne les empêche pas de sévir «journellement» à Andenne, d'emporter toute une récolte de grains «cachés dans une cave sous les pailles et les anchines», de maltraiter les manants et d'en «occire aulcuns» (quelques-uns). Par rapport aux autres, les habitants du bourg sont pourtant relativement favorisés car, en raison de la présence du chapitre, les soldats y sont «peu souvent billetez».Durant les deux dernières décennies du XVIe siècle, ce ne sont, de Mozet à Ben, que passages de troupes étrangères et dévastations de «vrijbutters» venant du nord, pillant «cahottes» et nefs marchandes sur la Meuse, se répandant à travers le bailliage. Dans les années 1580, Jausse-les-Férons a dû héberger successivement des soldats «de diverses nations, tant italiens que bourguignons, albanois et aultres gens fort mal conditionnés [...] sy dissolus qu'ils dansoyent le jour du vendredy saint». Pour eux, les serviteurs et servantes du fermier de Grandpré sont allé acheter «chair, poisson, vin, épiceries» au marché de Namur; de retour avec les provisions, ils sont «très bien battus». Vers 1592, Mozet, Strud et Gives connaissent des occupations de quelques jours ou de plusieurs mois, dont les villageois embrouillent la chronologie: la garde à cheval du duc de Parme, les Allemands du comte de Berlaymont, les gens d'«Apioconte». Ils donnent double ration d'avoine et même «des gerbes d'épeautre, froment, gros orge aux chevaux qui gâtaient plus qu'ils ne mangeaient», enlèvent le toit d'une «brassine» et d'une étable «pour accomoder leurs chevaux»53. Parfois, les paysans résistent. À Ahin, quinze d'entre eux rassemblés au son de la cloche par le maï'eur de Beaufort ont eu raison de «onze soldats et deux garçons» qui veulent y loger, refusent le «bon pain, bonne bièrre et bonne chaire» proposé par leur hôte obligé, exigent du mouton rôti et boivent plus que de raison. Le maï'eur les arrête, les emmène à Namur où le comte de Berlaymont les met en prison... À Mozet et à Strud encore, à Bonneville, à Vaudaigle (Andenne), à Gives, des habitants abandonnent les «censés», le village, sans qu'on sache où ils vont, s'ils sont à la guerre ou établis ailleurs. D'autres sont emmenés en otage à Maes-tricht, comme le meunier de Lovegnée, libéré contre une rançon de 200 florins, ou le curé d'Haillot, du bailliage voisin54.Ces ravages continuent encore à l'époque où Adrien de Montigny parcourt la région. En septembre 1604, la ferme de l'abbaye de Solières, à Gives, est incendiée par les Hollandais, des soudards font irruption à Haltinne en juin 1608, «s'y faisant traiter à leur plaisir». À Mozet, les terres sont abîmées «à cause des guerres», et les bois «gâtés» du fait que les manants des communautés voisines y avaient trouvé refuge avec leurs bêtes.

En outre, la peste a réapparu à Sclayn, à Andenne, comme elle y avait déjà sévi en 1578.L'effet sur les récoltes est désastreux. En juillet 1587, le muid d'épeautre se vendit 32 florins alors qu'il coûtait au mieux 3 ou 4 florins, au pis, 8 à 10, ce qui fit écrire au greffier de la cour de Sclayn qu'il «en avoit horreur et grande pitié, voiant le pauvre peuple en telle extrême calamité. Prions le bon Dieu y voloir remédier». Même l'aristocratie rurale en subit les conséquences : Jean de la Fontaine perdra son bien de Maizeret et Jeanne de Royer, mère de Robert de Namur, restera quatorze ans sans payer les rentes qu'elle doit au prévôt du chapitre de Sclayn !On ne s'étonnera guère de la dureté des mœurs et du climat de violence qu'elle engendre. On se bat pour quelque dette de ménage, on s'injurie même dans les églises. Jacquette délie Fontaine, «famée de crime de macrailaige et sourcellerie», est soumise à la question rigoureuse chaude et froide57. Gilles Pietquin dit Mortauwe est accusé d'adultère, de vols dans l'église de Strud, de connivences avec l'ennemi, puis après avoir «rompu prison», du meurtre d'une «Marie vulgairement appelée ladresse», ensuite d'avoir fait «ses efforts de se tuer et meurdrir». Il est pendu en juin 1606. Quatre ans plus tard, Henri Servais, le maïeur de Beaufort, se retrouve en prison pour le meurtre de Jacques de Recourt, le jour de la «dédicasse» (ducasse) de Ben, tout le monde étant pris de boisson. Torturé, il fait appel au Grand Conseil de Malines, espérant que les attestations des bons services qu'il a rendus en «contragardant beaucoup de passagiers gens de qualité et aultres tant par les rivières de Meuze que par terre, de tomber es mains des ennemis» lui vaudront quelque lettre de rémission

Comment, en terminant, ne pas rappeler le cas de cette malheureuse femme évoqué aux plaids de Sclayn en avril 1607 ? Plus fréquent sans doute que l'état très fragmentaire de conservation des sources ne le laisse soupçonner. Au moment où le sergent de la cour et un soldat de la garnison de Samson qui lui sert d'acolyte viennent se saisir de sa vache à la requête d'un certain Henroteau, elle prit une fourche, «jurant la mort et chair dieu qu'ils ne l'emmeneroient point, qu'elle tueroit plutôt sa vache». Atteinte d'une crise de folie, folie du désespoir, elle se tourna contre l'animal qu'elle se mit à frapper de coups de pierre et contre son époux. La vache s'enfuit aux bois et nul ne put la ramener.


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