Au risque de nous répéter, il faut dire qu'ici, comme ailleurs dans le comté, les événements militaires consécutifs à la prise de Namur par don Juan, en 1577, ont lourdement et longuement pesé sur les habitants du bailliage. Les troupes des États, cantonnées à Temploux, occupent Seilles pendant l'hiver, depuis la Saint-Martin (11 novembre) jusqu'à la Chandeleur (2 février). N'ayant pu s'emparer de Samson, défendu par Michel de Wari-soul, bailli et capitaine du château, et le seigneur de Floyon, elles ont pris position et se retranchent sur un îlot au milieu du fleuve, à un trait d'arquebuse, pour ainsi dire, des Espagnols qui sont sur la rive droite. Ce qui ne les empêche pas de sévir «journellement» à Andenne, d'emporter toute une récolte de grains «cachés dans une cave sous les pailles et les anchines», de maltraiter les manants et d'en «occire aulcuns» (quelques-uns). Par rapport aux autres, les habitants du bourg sont pourtant relativement favorisés car, en raison de la présence du chapitre, les soldats y sont «peu souvent billetez».Durant les deux dernières décennies du XVIe siècle, ce ne sont, de Mozet à Ben, que passages de troupes étrangères et dévastations de «vrijbutters» venant du nord, pillant «cahottes» et nefs marchandes sur la Meuse, se répandant à travers le bailliage. Dans les années 1580, Jausse-les-Férons a dû héberger successivement des soldats «de diverses nations, tant italiens que bourguignons, albanois et aultres gens fort mal conditionnés [...] sy dissolus qu'ils dansoyent le jour du vendredy saint». Pour eux, les serviteurs et servantes du fermier de Grandpré sont allé acheter «chair, poisson, vin, épiceries» au marché de Namur; de retour avec les provisions, ils sont «très bien battus». Vers 1592, Mozet, Strud et Gives connaissent des occupations de quelques jours ou de plusieurs mois, dont les villageois embrouillent la chronologie: la garde à cheval du duc de Parme, les Allemands du comte de Berlaymont, les gens d'«Apioconte». Ils donnent double ration d'avoine et même «des gerbes d'épeautre, froment, gros orge aux chevaux qui gâtaient plus qu'ils ne mangeaient», enlèvent le toit d'une «brassine» et d'une étable «pour accomoder leurs chevaux»53. Parfois, les paysans résistent. À Ahin, quinze d'entre eux rassemblés au son de la cloche par le maï'eur de Beaufort ont eu raison de «onze soldats et deux garçons» qui veulent y loger, refusent le «bon pain, bonne bièrre et bonne chaire» proposé par leur hôte obligé, exigent du mouton rôti et boivent plus que de raison. Le maï'eur les arrête, les emmène à Namur où le comte de Berlaymont les met en prison... À Mozet et à Strud encore, à Bonneville, à Vaudaigle (Andenne), à Gives, des habitants abandonnent les «censés», le village, sans qu'on sache où ils vont, s'ils sont à la guerre ou établis ailleurs. D'autres sont emmenés en otage à Maes-tricht, comme le meunier de Lovegnée, libéré contre une rançon de 200 florins, ou le curé d'Haillot, du bailliage voisin54.Ces ravages continuent encore à l'époque où Adrien de Montigny parcourt la région. En septembre 1604, la ferme de l'abbaye de Solières, à Gives, est incendiée par les Hollandais, des soudards font irruption à Haltinne en juin 1608, «s'y faisant traiter à leur plaisir». À Mozet, les terres sont abîmées «à cause des guerres», et les bois «gâtés» du fait que les manants des communautés voisines y avaient trouvé refuge avec leurs bêtes.